État d'urgence et baux commerciaux : l'arbitrage au service de l'urgence

Par Collectif  |   |  899  mots
(Crédits : Reuters)
TRIBUNE. Le CMAP et des cabinets JEANTET et 1804 lancent un appel pour le recours à l'arbitrage dans les litiges locatifs issus du COVID-19. Les co-signataires en sont : Catherine Saint Geniest, Associée du pôle Immobilier du Cabinet Jeantet, Murielle Amsellem, Associée du Cabinet 1804, Ioana Knoll-Tudor, Associée du pôle Dispute Resolution du cabinet Jeantet, Sophie enry, Déléguée générale CMAP, Denis Mouralis, Professeur des Universités, Arbitre, Conseiller du CMAP.

Les mesures de confinement et la fermeture corrélative tant des bureaux que de la plupart des lieux accueillant du public créent des difficultés notables pour les commerçants. Même ceux dont les magasins sont restés ouverts font face, bien souvent, à une baisse de fréquentation et de chiffre d'affaires. Les restaurants et cafés ne pourront pas rouvrir le 11 mai, les hôtels n'auront pas le même taux d'occupation qu'auparavant et la menace persistante de l'épidémie va obérer durablement les résultats dans la quasi-totalité des secteurs de l'économie.

Dans ces conditions, les retards et défauts de paiement des loyers commerciaux sont déjà actés, mettant certains bailleurs eux-mêmes en difficulté. L'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 protège les entreprises bénéficiant du fonds de solidarité contre la résolution du bail et l'application de pénalités en cas de retard dans le paiement des loyers échus pendant la période de l'état d'urgence sanitaire, allongée de deux mois. L'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 protège les autres locataires, sans toutefois suspendre leur obligation de payer les loyers, en empêchant le bailleur d'utiliser les garanties qu'il détient et de mettre en œuvre la clause résolutoire du bail. Autrement dit, aucun locataire n'est dispensé de payer, in fine, les loyers échus pendant la période. Dès lors, les locataires invoquent le droit commun des contrats, en particulier, évidemment, les notions de force majeure, d'imprévision ou d'exception d'inexécution, pour essayer d'obtenir des franchises de loyer et des délais de paiement. Il n'est pas certain que les conditions d'application de ces principes soient remplies dans tous les cas et, même si elles le sont, leurs conséquences seront âprement discutées : obligation de renégocier les termes du bail ? délai de paiement, réduction, annulation du loyer ? pour quelle durée ? dans quelle proportion ?

Un important contentieux

A n'en pas douter, la crise sanitaire va susciter un important contentieux entre bailleurs et preneurs. Or, les tribunaux sont quasiment paralysés depuis le début des mesures de confinement et il faudra certainement attendre de longs mois avant d'obtenir des jugements définitifs.

Bailleurs et preneurs ont donc tout intérêt à rechercher des solutions alternatives ; la médiation en est une et la récente nomination de Madame Jeanne-Marie Prost par le ministre de l'Economie en tant que médiatrice pour définir des solutions avec les fédérations du commerce en est la preuve la plus récente. Mais, si les parties ne peuvent se rapprocher au cours d'une médiation, l'arbitrage devient une alternative efficace à la justice étatique. A noter que même à défaut de clause compromissoire dans le bail commercial, les parties peuvent à tout moment, après la naissance de leur différend, convenir de soumettre celui-ci à l'arbitrage, ce qui présente de multiples avantages.

L'arbitrage offre tout d'abord une résolution rapide du différend : suivant sa complexité, il faut compter entre 6 et 18 mois pour obtenir une sentence définitive (puisqu'il n'y a pas de recours possible) susceptible d'exécution forcée, après exequatur. Ensuite, les débats et la sentence sont confidentiels, ce qui garantit aux parties de s'exprimer librement tout en étant assurées de la plus grande discrétion.  Enfin, le tribunal arbitral peut statuer, selon l'accord des parties, en droit ou en amiable composition. Dans ce dernier cas, le tribunal assouplit les solutions imposées par les règles de droit, pour tenir compte de l'équité, dans le respect de l'ordre public.

Plusieurs modalités

Lorsqu'elles ont recours à l'arbitrage, les parties ont tout intérêt à désigner un centre d'arbitrage pour administrer la procédure sur la base d'un règlement préexistant. Forts de ce constat, les cabinets d'avocat Jeantet et 1804 ont contacté le CMAP afin de lui suggérer de mettre en place une procédure sur mesure pour le règlement par voie d'arbitrage des litiges locatifs issus du Covid-19. Plusieurs modalités ont ainsi été adoptées :

(i)             la liste d'arbitres du CMAP a été mise à jour avec des profils de spécialistes des baux commerciaux, avocats, professeurs et experts immobiliers ;

(ii)            ont également été mis en place des tribunaux préconstitués de trois arbitres - comprenant un expert immobilier, un avocat/professeur spécialisé en arbitrage et un avocat spécialisé en baux commerciaux - pour les parties qui souhaitent raccourcir la phase de nomination du tribunal arbitral. Bien évidemment, les parties peuvent aussi désigner un arbitre unique et nommer les arbitres de leur choix. Ces professionnels aguerris à la matière comprendront rapidement les enjeux du différend, tant pour le bailleur que pour le preneur ;

(iii)          un barème des frais d'arbitrage spécifique pour ces litiges, réduit et compétitif a été également adopté.  Les frais d'arbitrage servent à rémunérer le centre d'arbitrage et les arbitres.

Une reprise sereine des relations entre bailleurs et preneurs ne peut être envisagée qu'une fois les différends en cours réglés. Il est donc urgent de trouver des solutions viables et le recours à l'arbitrage doit être envisagé comme une solution alternative aux tribunaux étatiques permettant aux parties d'obtenir une sentence définitive, dans un délai rapide, pour un coût maîtrisé.