Fantasme culturel et réalité : quand Volkswagen ment au monde

Par Mathieu-Claude Chaboud  |   |  987  mots
Le fantasme culturel, c'était celui d'une marque solide, sérieuse, du plan technique au plan moral. La réalité est toute autre, et c'est du coup toute l'industrie automobile qui tremble sur ses bases. Par Mathieu-Claude Chaboud, Professeur Associé de Marketing au Groupe ESC Dijon-Bourgogne

Le 23 septembre, les pertes en bourses sur cinq jours du constructeur automobile allemand, en passe de devenir numéro un mondial du secteur, atteignaient plus de 30%. Pourtant, Volkswagen est à n'en pas douter une marque iconique en plein milieu d'une année record en termes de ventes. Son slogan « Das Auto », littéralement « LA voiture », est comme souvent en marketing autant une définition de ce que la marque est (en quelque sorte « LA voiture, c'est nous »), qu'une déclaration de ce que les autres marques ne sont pas : si LA voiture c'est nous, alors vos produits sont simplement des voitures, parmi tant d'autres.

Le deuxième point que propose ce positionnement est la symbolique véhiculée (sans jeu de mot) par l'emploi de l'Allemand. L'Allemagne, c'est le pays de l'ingénierie automobile par excellence, mais c'est aussi la robustesse, la qualité, la confiance. Et pas seulement au plan technique, au plan moral également. On se souvient des leçons données à la Grèce et à d'autres sur la bonne gestion et le sérieux. En bref, être la marque qui clame représenter « Das Auto », que ce soit dans ses publicités américaines, françaises ou coréennes, c'est promettre tout à la fois l'excellence et la moralité, deux points qui semblaient acquis pour Volkswagen.

Précédents oubliés

Mais n'oublions pas que Volkswagen, alors sous la direction de Ferdinand Piech, était il y a quelques années le lieu d'un scandale majeur de corruption sur fond de prostitution, de voyages d'agrément payés et de virées shoping a Paris pour les cadres des syndicats du groupe automobile et leurs épouses ou maitresses entre 1993 et 2002. La marque a réussi à faire oublier ces évènements, la corruption étant doucement présentée devant les tribunaux comme des « irrégularités », sorte de mal nécessaire au redressement d'une entreprise qui a gravi ces dernières années les premières marches des classements des constructeurs internationaux, semblant même promise cette année à détrôner Toyota, entreprise japonaise représentante d'une autre culture d'excellence technologique et de moralité mais dont le pays est aussi connu pour ses liaisons dangereuses entre sexe, argent et politique.

Il y a quelques années, Toyota avait d'ailleurs dû rappeler des millions de véhicules, un défaut d'informatique les affectant pouvait enclencher de manière soudaine et incontrôlable l'accélérateur, provoquant la mort de plus d'une dizaine de personnes. Pour minimiser le problème, la marque japonaise avait argué d'un simple problème de tapis de sol coinçant la pédale d'accélération, puis, devant l'évidence avait bientôt reconnu le défaut de conception et rappelé les modèles concernés à travers le monde.

Pacte de confiance rompu

Ces derniers jours, Volkswagen est tombée pour mensonge et tromperie à son tour. C'est l'EPA, l'agence fédérale américaine de protection de l'environnement, qui révèle qu'une manipulation de grande envergure impliquerait la marque allemande. Celle-ci aurait équipé certains de ses véhicules diésel de logiciels destinés à tromper les tests de pollution. On ne parle pas ici de gagner quelques pourcents, mais de masquer des émissions réelles de 15 à 40 fois supérieures aux normes en vigueur.

Devant l'évidence encore, Volkswagen reconnait ses malversations volontaires. Devant la levée de boucliers, non seulement aux États-Unis mais également en Asie et en Europe, et particulièrement en Allemagne dont les dirigeants nationaux et régionaux se déversent en réactions outragées, Volkswagen annonce que l'affaire, au-delà des 500.000 voitures vendues en Amérique du Nord, touche près de 11 millions de véhicules.

Le pacte de confiance, non seulement avec la marque mais aussi avec la symbolique de l'automobile allemande, semble sinon rompu, du moins sévèrement mis à mal.

Cette dissonance cognitive entre façade culturelle bien acceptée mondialement et pratiques des grandes entreprises usant des armes de la fraude et du mensonge de la façon la plus éhontée, pose un risque réel aux industries des pays les plus développés. Si cette confiance est brisée, que leur reste-t-il alors en face de leurs homologues des pays émergents ? Fraude, corruption, pollution, sont des mots qui n'auraient pas pu qualifier la puissante industrie automobile allemande il y a à peine une semaine.

Vers la chute ?

Volkswagen chute donc en bourse, logiquement. Le patron allemand de la branche américaine de la marque, Michael Horn, le reconnait dans une grand-messe organisée autour de la présentation de la nouvelle Passat à Brooklyn. « Nous avons totalement foiré » dit-il, se répandant en excuses devant un parterre de journalistes, éteints à coups de « pas de commentaire », et de concessionnaires de la marque, visiblement abattus et anxieux.

Les vraies questions ne seront donc pas posées, mais elles flottent dans l'air surréaliste de l'évènement : Qui savait ? Comment pensiez-vous ne pas être pris ? Dans une industrie où tous les constructeurs s'épient et testent les véhicules concurrents, aucun rival de Volkswagen n'aurait rien vu ? Qu'en est-il en fait des autres constructeurs, et de leurs propres tentations ?

On sent aujourd'hui, alors que Martin Winterkorn, le PDG de Volkswagen vient de démissionner, l'ensemble de l'industrie automobile trembler sur ses bases. Les commentaires laconiques de Carlos Ghosn, PDG de Renault, se disant « peu inquiet » ne rassurent pas vraiment. L'une des marques les plus emblématiques de l'excellence industrielle et des vertus supposées du modèle allemand, la marque produisant « Das Auto », a triché sciemment, et menti, les conséquences financières seront à la mesure de la déception et du choc.

L'année qui vient nous en dira sans doute beaucoup plus sur la capacité de Volkswagen, mais également sur celle d'autres constructeurs allemands, à survivre à cette rupture fondamentale du réel d'avec le fantasme culturel.

Mathieu-Claude Chaboud, Professeur Associé de Marketing au Groupe ESC Dijon-Bourgogne