France : revenir à l'investissement productif

Par Bruno Alomar  |   |  948  mots
Les réformes menées en France sont très insuffisantes. Il faudrait privilégier l'investissement. Par Bruno Alomar enseignant à Sciences Po (économie européenne)

L'accord conclu à Bruxelles, le 13 juillet dernier, entre les Etats membres de la zone euro pour sauver la Grèce d'une faillite économique et lui octroyer un troisième plan d'aide s'inscrit dans le contexte d'une croissance fragile et insuffisante. Après sept années placées sous le signe d'une faible croissance, du chômage de masse et de l'augmentation continue de la dette publique, la zone euro est ainsi à la croisée des chemins.

La conjoncture est favorable, mais...

En ce qui concerne la France, coutumière, que l'on songe à la crise des années 1930, de l'entrée différée dans les grandes crises économiques en raison de ses amortisseurs automatiques (rigidité salariale, rigidité du marché du travail etc.) les défis économiques restent entiers. La croissance française reste tirée par la consommation, elle-même alimentée par la baisse des prix du pétrole, la politique de quantitative easing lancée par la Banque centrale européenne qui permet de détendre légèrement les conditions de crédit et de susciter un effet de confiance par l'appréciation des actifs, enfin l'amélioration de la compétitivité prix pour les entreprises françaises liée à la baisse du cours de l'euro.

Mais ces éléments, conjoncturels, ne permettront pas d'améliorer à moyen terme notre situation économique, durablement hypothéquée par l'absence de réformes structurelles, la faiblesse des marges des entreprises et, corrélativement, par un niveau d'investissement insuffisant. La Commission européenne, dans son analyse de l'évolution des finances publiques françaises rendue publique le 2 juillet dernier, s'inquiète ainsi d'un assainissement du solde budgétaire français exagérément fondée sur des éléments conjoncturels.

Un niveau de dettes publiques des pays développés inédit en temps de paix

Certes, les problèmes structurels ne sont pas propres à la France. Depuis 2008, la mobilisation de tous les leviers de la politique économique, notamment l'émission massive de liquidités par les banques centrales ainsi que le lancement d'un plan de relance keynésien mondial (largement alimenté par les Etats-Unis et la Chine), a permis d'éviter une déflation. Mais la conséquence en est un niveau de dettes publiques des pays développés inédit en temps de paix, des taux d'intérêt artificiellement bas et une pression fiscale élevée. Si l'on y ajoute, pour l'Europe, le vieillissement démographique et la diminution des actifs, le paysage économique s'assombrit encore.

La France doit s'adapter à la mondialisation

Dans ce cadre, la France doit, plus que jamais, s'adapter à la mondialisation. Cela requiert de résoudre ses déséquilibres structurels et de s'ouvrir davantage aux ruptures technologiques. Le désendettement et le retour au plein emploi passent par la croissance. La croissance passe par les gains de productivité. Les gains de productivité passent par l'investissement. L'investissement passe par la baisse de la fiscalité sur le capital. Plus que jamais, la formule d'Helmut Schmidt « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain » est juste. En dépit de son caractère stratégique, l'investissement souffre pourtant d'un recul de 20% par rapport à son niveau d'avant 2008. La France doit donc se doter d'une politique fiscale claire qui accentue notre désendettement, en réduisant les dépenses de l'Etat providence, tout en favorisant l'investissement productif.

Des mesures de faible ampleur

Or, preuve est de constater que toutes les décisions, prises récemment par le Gouvernement, vont dans le sens inverse. Le ministre de la fonction publique annonce la revalorisation du salaire des fonctionnaires au 1er janvier 2017. Le gouvernement annonce la création de 8000 emplois de fonctionnaires en 2016, repoussant toujours à la hausse le nombre d'agents publics. Les dépenses publiques continuent, comme la dette publique, d'évoluer à la hausse. Dans un tel contexte, en lieu de réformes de fond, le gouvernement se complet dans des mesures de faible ampleur.

Une perte de recettes fiscales liée à l'instauration du paquet neutre de cigarettes

Ainsi, exemple parmi tant d'autres, est-il de la question du paquet neutre pour les cigarettes, pour lequel la discussion reprendra mi septembre au Sénat, qui se traduira par une perte de recettes fiscales comprises entre 500 millions à 3,5 milliards d'euros. En effet, chacun sait que, si l'objectif de protection de la santé publique est primordial, la généralisation du paquet neutre, alors même que l'industrie du tabac est déjà très encadrée, a pour effet de baisser considérablement les recettes fiscales. Selon les simulations les plus précises, la perte de recettes fiscales serait de 2 milliards d'euros sur les 14 milliards actuellement collectés sur les ventes du tabac. Qui peut penser que la fiscalité française ne devra pas, très rapidement, évoluer à nouveau à la hausse pour compenser cette perte de recette !

Un système fiscal à refondre

Au-delà de la question du tabac, c'est la refonte totale de notre système fiscal qui se pose avec la nécessité d'une fiscalité moins progressive (la proportion des ménages qui acquitte l'impôt sur le revenu s'est encore réduite, ancrée en deçà de 50%), sur une assiette élargie et qui reviendrait à un niveau de pression fiscale comparable à celui de nos principaux partenaires européens. Cela requiert également de baisser drastiquement la dépense publique, car il n'existe pas d'alternative pour retrouver des marges de manœuvre. L'économie mondiale n'est nullement condamnée à une stagnation séculaire, comme l'analyse Larry Summers, mais elle doit assurément, et plus encore en France et en Europe, désormais s'atteler à résoudre ses déséquilibres structurels.


Bruno Alomar enseigne l'économie européenne à Sciences Po