Google va gagner plus d’argent grâce à l’amende de la Commission Européenne

Par Charles Cuvelliez  |   |  758  mots
(Crédits : DR)
ETUDE DE CAS. C'est un joli pied de nez à la Commission européenne de la part de Google. Il y a un peu plus d'un an, il avait été condamné par la Commission à une amende de 4.3 milliards d'euros parce qu'il ne pousse et n'installe par défaut que son propre outil de recherche sur Chrome et dans les smartphones qui tournent sur Android. Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles.

Suite à cette amende, en avril dernier, Google est venu avec une première courbe rentrante: après une mise à jour de Google Play, un rappel apparaissait à l'écran de ce dernier pour rappeler à l'utilisateur que d'autres outils de recherches tel Bing, DuckDuckgo, Qwant, existaient. Jusque-là, rien d'anormal.

Mais sur le blog de Google est apparu le deuxième volet provocant. Google ouvre des enchères pour permettre aux outils de recherché de se battre entre eux pour apparaître dans un écran qui viendra dès 2020 au moment de la première activation d'un  smartphone: l'utilisateur pourra choisir entre 4 outils de recherche, l'un d'eux sera Google, mais trois autres choix seront possibles et il y a intérêt à en faire partie, car ce ne sera pas un de plus. Une fois sélectionné, cet outil de recherche sera par défaut l'interface de recherche sur l'écran du smartphone et même dans le browser chrome de Google. Les utilisateurs pourront encore changer par après, mais qui le fera ? Cela rappelle Microsoft qui avait aussi été condamné parce qu'il ne proposait qu'Internet Explorer comme navigateur. Microsoft proposait alors d'autres navigateurs via une fenêtre, mais sans proposer de telles enchères aux concurrents d'Internet Explorer.

Écran qui apparaitra à la première utilisation d'un smartphone

Google n'a pas trouvé mieux que les enchères, dit-il dans son blog, comme procédure ouverte et équitable pour traiter de la même manière tous ses  concurrents. Mais dans quelle mesure Google va-t-il auto-participer à ces enchères ? Mystère ? Tout ce qu'on sait c'est que ces enchères seront organisées une fois par an. Il y aura aussi un seuil minimum par pays. Si, dans un pays, il y a moins de trois participants aux enchères, Google remplira les places vides avec d'autres outils de recherche qui étaient éligibles pour ces enchères.

Les outils de recherche qui prendront part à ce joli pied de nez de Google ont jusqu'au 13 septembre 2019 pour proposer le prix minimum qu'ils sont prêts à payer chaque fois qu'un utilisateur les sélectionnera par défaut. Seule condition pour participer: l'outil de recherche doit supporter la langue du pays dans lequel il sera proposé.

Cette approche est particulièrement vicieuse pour les petites sociétés qui, donc, ne sauront pas à l'avance ce qu'ils devront payer à Google puisque c'est un prix par utilisateur et par installation. S'ils ont trop de succès, ils risquent de tomber... en faillite, car ces outils de recherche ne sont évidemment pas rémunérés par les utilisateurs qui l'installent. De plus, que se passera-t-il si un utilisateur change d'outil de recherche après quelque temps. Le premier installé ne sera sans doute pas remboursé par Google. On imagine aussi l'effet délétère des robots qui feront ce choix automatiquement.

Il faudra sans doute un certain temps à la Commission pour approuver ou non cette nouvelle manière de faire, ce qui permet à Google de gagner du temps et de l'argent sur son dos. C'est une belle tactique: on prouve ainsi au final que la régulation fait pire que bien puisque cette amende provoque des effets inattendus et dommageables sur ceux-là même qu'elle était censée protéger : les concurrents de Google ! Avec des enchères, les outils de recherché de concurrents de même taille que Google seront favorisés, car ils ont les reins plus solides.

Autre conséquence inattendue : pour la première fois, on va donc mettre un prix sur un internaute lambda. Que vaut-il lorsqu'il surfe ? Aujourd'hui, les startups et autres licornes sont valorisées et lèvent de fonds simplement parce qu'elles recrutent de plus en plus d'utilisateurs qui ne lui paient rien et profitent d'un service offert gratuitement par ces derniers. On va savoir ce que vaut un utilisateur... qui ne rapporte rien. Oui, vous lisez bien !  Cela peut renforcer les autorités de la concurrence dans leurs enquêtes puisque leur talon d'Achille, par rapport aux plates-formes Internet, était de ne pas pouvoir estimer le dommage à autrui d'une position dominante sur des clients qui n'en souffrent pas (puisque c'est gratuit pour eux). En mettant un prix sur un utilisateur lambda d'Internet, les dommages deviennent tangibles.

Il n'empêche : dans les milieux feutrés de la commission, on rit sans doute jaune. Google se fait de l'argent grâce à une amende de l'Europe.

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Pour en savoir plus

  • Blog de Google :

https://www.blog.google/around-the-globe/google-europe/update-android-search-providers-europe/

  • Détail des enchères :

https://www.android.com/choicescreen/