Grèce : la meilleure manière de faire défaut sur sa dette

Si les Grecs ne parviennent pas à un accord avec l'UE sur leur dette, s'ils finissent par faire défaut -non remboursement-, voilà la meilleure manière de limiter les dégâts. Odette Lienau, professeur de droit à la Cornell University
Le ministre grec des Finances, Yannis Varoufakis, et le premier ministre Alexis Tsipras

Le risque financier entourant les dettes de la Grèce soulève la question de savoir si (et quand) le pays entrera en défaut. De toute évidence, il serait beaucoup moins dommageable pour la Grèce et ses créanciers de s'entendre sur une solution négociée. L'incertitude demeure à cet égard, même si des rumeurs, circulant ce jeudi 11 juin,  laissent entendre qu'une telle solution pourrait être trouvée.

À l'heure où les dirigeants grecs réfléchissent aux différentes options, ils feraient bien de garder à l'esprit combien il existe de meilleurs et de moins bonnes manières de faire défaut sur une dette souveraine - notamment si l'État concerné entend rétablir au plus vite un certain degré de solvabilité. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, le gouvernement grec aurait tout intérêt à faire preuve de sagesse en respectant trois principes guides :

Éviter l'invective : Le défaut est une situation douloureuse, même lorsqu'il se révèle un choix approprié à long terme. Au milieu de toute cette souffrance, il peut être tentant d'en pointer certains du doigt. Il est toutefois important de résister à cette tentation. En effet, les débiteurs souverains seront certainement amenés à interagir de nouveau avec les mêmes créanciers et acteurs internationaux. Bien qu'il soit difficile de déterminer la mesure dans laquelle les déclarations peu diplomates de l'Argentine au cours de son épisode de défaut ont mis à mal ses efforts face au système juridique des États-Unis, il est clair que le discours officiel irréfléchi du pays n'a pas amélioré son cas.

Dans le contexte grec, trop de noms d'oiseaux ont d'ores et déjà été proférés autour de crises de la dette souveraine. La Grèce aurait davantage intérêt à formuler des regrets quant à l'incapacité à atteindre une solution négociée, tout intérêt à présenter un projet clair de gestion à court et long terme de son défaut, ainsi qu'à faire valoir une stratégie convaincante en direction de la reprise et de la croissance du pays.

Être capable de s'expliquer : À la suite d'un défaut, il faut s'attendre à ce que personne ne prête attention aux explications même les plus rationnelles. Les créanciers feront sans doute valoir combien la décision de défaut aura constitué une terrible erreur, et combien toute reprise serait impossible à moins que l'on ne revienne rapidement sur cette décision. Il n'est pas impossible que certains observateurs souhaitent le plus triste destin à un pays aussi désobéissant, ne serait-ce que pour prouver un argument et donner une leçon aux pays qui envisageraient la même voie. D'autres acteurs, parmi lesquels d'éventuels créanciers futurs, pourraient toutefois être plus ouverts à la persuasion.

On considère généralement la solvabilité comme reposant sur deux aspects : la volonté de payer, et la capacité à payer. Le défaut semble constituer la démonstration concrète des limites de la volonté de paiement dont peut faire preuve un État, au moins à court terme. Les choses ne sont néanmoins pas toujours aussi simples. Un État en défaut peut en effet incarner l'idée du refus de payer une dette en particulier, sans pour autant que ce pays refuse dans son ensemble la logique du paiement des dettes.

Dans le cas de la Grèce, il est possible que certains investisseurs et commentateurs se rapprochent de l'affirmation des autorités selon laquelle les mesures d'austérité n'auraient fait qu'entraver la reprise du pays. Il est possible que ceux-ci acceptent l'idée d'un défaut s'inscrivant dans le cadre d'un ensemble de politiques destinées à améliorer les fondamentaux économiques du pays, et ainsi sa capacité à rembourser ses dettes à long terme.

Rembourser certaines dettes : Bien que cela puisse sembler illogique, les pays en défaut ont intérêt à envisager de rembourser certaines de leurs dettes - selon les modalités de leur choix, et de manière progressive - afin de rebâtir une certaine solvabilité. De la même manière que certains expliquent qu'un défaut impliquerait que les paiements soient liés à la reprise économique, il peut être sensé de fixer les conditions d'une reprise des paiements - et de procéder dès lors que ces conditions sont réunies.

 Il est même possible de faire encore appel à certains créanciers

 Bien entendu, ceci pourrait affaiblir la faculté du débiteur - à travers la promesse d'un remboursement futur - à réunir de nouveau les créanciers à la table des négociations. Mais cette démarche permettrait également de démontrer aux créanciers existants, comme aux éventuels créanciers futurs, non seulement une capacité, mais également une volonté d'honorer des paiements, incitant par conséquent les acteurs extérieurs à soutenir la reprise économique.

Même après l'événement de répudiation des dettes de la Russie tsariste en URSS - sans doute l'épisode de défaut sur dette le plus célèbre (et le plus mécompris) du XXe siècle - certains créanciers n'excluaient pas de prêter au nouveau régime, notamment par ce que les agences soviétiques remboursaient une dette qu'ils considéraient comme légitime. Plus récemment, l'Équateur a poursuivi ses paiements relatifs à la faible portion de dette que le pays jugeait acceptable après être entré en défaut sur ses dettes internationales en 2008 (dans des circonstances beaucoup moins extrêmes qu'en Grèce). Ce remboursement a contribué à une lente amélioration de sa notation de crédit, et en fin de compte à son retour sur les marchés de capitaux internationaux en 2014.

Même si la Grèce parvient dans les temps à un accord lui permettant d'honorer la première échéance due au FMI début juin, elle pourrait ne pas être en mesure d'honorer les paiements encore plus conséquents qui lui seront demandés dans la suite de l'été. Il est probable que le gouvernement grec et ses créanciers se réunissent de nouveau à la table des négociations. Il faut espérer qu'un défaut unilatéral ne sera pas nécessaire. Mais si la Grèce venait à emprunter cette voie, il lui faudra alors arpenter le chemin avec la plus grande délicatesse.

Traduit de l'anglais par Martin Morel

Odette Lienau, professeur de droit à la Cornell University, est l'auteur de l'ouvrage intitulé Rethinking Sovereign Debt: Politics, Reputation, and Legitimacy in Modern Finance.

© Project Syndicate 1995-2015

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Commentaires 27
à écrit le 24/06/2015 à 12:14
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pourquoi la grece ne porte pas plainte contre Goldmann-Sachs pour avoir fraudé dans les anees 2010 sur les avoirs et financiers de la Grece? de façon à recuperer ses pertes de l epoque ?

à écrit le 14/06/2015 à 14:36
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M. Tsipras a déjà donné tous les gages de soumission aux autorités de Washington et de Bruxelles. Il a déclaré dans le journal Allemand Die Zeit en 2012 "Nous devons défendre l'Euro et l'idée européenne à n'importe quel prix" et c'est bien le cas auj...

à écrit le 13/06/2015 à 22:05
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Hum ? C'est pas pour critiquer (sic) mais je remarque que le temps de "ma réserve de validation" s'est tellement allongée .... que mes post disparaissent sans être publiés ... comme en même temps que l'article concerné ? Étonnant non ?

à écrit le 13/06/2015 à 20:54
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Quand tu dois 1 000 euro à ton banquier et qu't'as pas les sous pour le payer T'AS UN PROBLÈME ? Par contre SI TU DOIS 300 MILLIARDS À TON BANQUIER et que tu es décidé à ne pas le payer ? C'EST LUI QUI A UN PROBLÈME ? Tu m'suis-tu ?

à écrit le 13/06/2015 à 6:54
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Il n'y a pas d'autre solution

à écrit le 13/06/2015 à 0:18
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Selon l'article suivre la voie de l'équateur et de l'argentine , c'est possible .

à écrit le 12/06/2015 à 23:29
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Voilà un article mesuré et convaincant que devrait lire M. Tsipras. Bravo.

le 13/06/2015 à 2:26
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Oui, ainsi que Romaric Godin qui est le porte voix de Syriza. Merci La Tribune de nous avoir donné un autre point de vue.

à écrit le 12/06/2015 à 22:50
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Les confectionneurs de cravates grecs font faillite ; que fait ce gouvernement ?

à écrit le 12/06/2015 à 22:36
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En cas de défaut, les retraités, les fonctionnaires, les citoyens grecs verront leur pouvoir d'achat amputé de 80 à 90 % ; les grecs voudront toujours consommer mais ils ne pourront plus payer, alors....... ils peuvent se tourner vers d'autres gentil...

le 14/06/2015 à 23:44
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Du grand n importe quoi, vos chiffres. Vous habitez sur quelle île, Robinson ?

à écrit le 12/06/2015 à 20:56
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Techniquement, c'est possible de faire défaut, politiquement, c'est nettement plus dur = si la Grèce fait défaut, plus personne ne voudra lui prêter un euro. Il vaudrait mieux étaler la dette sur 20 à 50 ans comme les emprunts russes. Un pays qui rem...

à écrit le 12/06/2015 à 19:21
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La Grèce fait défaut. Elle n'a plus aucune dette. Ayant senti le vent du boulet, puis encaissé le boulet, elle devrait normalement revenir à la réalité, être capable de faire payer les impôts, retrouver de la croissance... et des investisseurs qui on...

à écrit le 12/06/2015 à 18:44
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Une généralité, sans technicité. " le Roi va mourir, vive le roi". Mais de quel roi s'agit-il, et pour quelle mort ? Cette Europe, que nous n'avons pas souhaité dans la forme qui est sienne aujourd'hui. Et la mort, cette vilaine maladie que représe...

à écrit le 12/06/2015 à 18:42
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je craignais le pire, finalement il y a des idees cela dit la grece va avoir un TRES gros pb, la drachme representera 10% de ce que vaut l'euro, et personne n'en voudra dans les echanges internationaux ( au meme titre que pour l'argentine, personne ...

le 12/06/2015 à 23:43
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Mais tout le monde reconnaîtra sa compétitivité et disparition du chômage!

le 14/06/2015 à 23:51
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Churchill, je vous conseille tout d abord d arrêter le cigare, ca donne mal au crâne, ensuite de lire le Financial Times, un journal gaucho-Syriziste s il en est, qui vient tout juste de publier un article sur le fait que la Grèce s en sortirait mieu...

à écrit le 12/06/2015 à 18:28
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On ne peut qu'être d'accord avec l'intégralité de la teneur de cet article. Le seul bémol est la qualification des "créanciers". Pour ce qui est des institutions (BCE et FMI), elles sont hiérarchiquement organisées. Mais pour ce qui est des pays, je ...

à écrit le 12/06/2015 à 14:53
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mais biensur les articles en question, vous les avez déviné j''en suis sur et certain, sont de monsieur Godin expert reconnu mondialement sur ses descriptions de la situation de la Grèce (((0)))(((0)))

le 12/06/2015 à 17:52
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Soit content une visite de plus sur ton site . Mais pour revenir sur la Grèce et l attitude à tenir quand on est insolvable . Face à celui qui va payer à ta place , il faut lui faire comprendre que de l argent t as n a plus . Une tape amicale au créa...

le 12/06/2015 à 18:44
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en tt cas ca fournit le lubrifiant anal a l'huile d'olive et le decontractant pour que ca passe!!!

le 13/06/2015 à 15:14
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@monsieur Churchill. Je m'aventure pas avec vous sur ce chemain glissant. Oh non merci meme avec de l'huile d'olive pression première à froid. Aie aie En Europe l'humain d'abord oui monsieur. Godin je suis tout à faire d'accord sur cette question. He...

à écrit le 12/06/2015 à 14:50
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je sais pas si vous etes comme moi mais chaque fois çà me met en joie: je préfère infiniment les artiches d'une impartialité clairvovante hors de toutes critiques. Non mais la dictature de la finance çà suffit on n'en veut plus on n'en peut plus. Au ...

le 13/06/2015 à 11:16
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La Grèce devrait sortir de l'Euro, récupérer la Drachme et advienne que pourra. Si elle s'en sort finalement bien, la France pourra faire pareil et adieu l'Euro et la tutelle de la finance internationale. La Banque de France pourra à nouveau prêter ...

à écrit le 12/06/2015 à 8:50
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La Grèce a le choix, soit de rester "sous tutelle" de l'UE et donc d'être juridiquement irresponsable, soit de reprendre sa souveraineté et ne point reconnaître les dettes faites sous la pression de son "tuteur" (qui a pour nom Union Européenne)!

le 12/06/2015 à 19:54
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A ce propos, où en sont les travaux de la commission d'audit de la dette grecque ? On n'en entend plus beaucoup parler, et pourtant : pour peu que cette commission sorte d'ici peu (et juste avant les remboursements du 30 Juin) quelques affaires de po...

le 12/06/2015 à 20:58
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La comission d'audit de la grece rendra ses résultats le 18 juin justement. Selon les premières fuites, une partie de la dette serait illégale aux yeux du droit grec, mais aussi du droit européen, et sera fort logiquement répudiée. Reste a en connait...

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