Hollande a-t-il tué les mutuelles ?

Par François Charpentier  |   |  1086  mots
François Charpentier, journaliste spécialiste de la protection sociale.
La généralisation de la complémentaire santé décidée par François Hollande a pu apparaître comme un geste en faveur des mutuelles, dont le PS a toujours été proche. En fait, la mutualité a surtout le sentiment, aujourd'hui, d'un coup de pouce malencontreux, en raison des conditions de mise en œuvre de cette mesure Par François Charpentier, journaliste spécialiste de la protection sociale.

L'histoire est à bien des égard paradoxale. Le 22 octobre 2012, François Hollande clôture le congrès de la Mutualité à Nice avec une déclaration en deux temps appelée à faire date. D'un côté il dénonce le « gâchis financier » que représentent les avantages fiscaux dont bénéficient les contrats collectifs de prévoyance. De l'autre, il annonce une généralisation de la complémentaire santé.
Ce faisant le président de la République fait plaisir à son vieux complice René Teulade, ancien président de la FNMF et ancien ministre des Affaires sociales entre 1992 et 1993. Ce dernier l'a formé en Corrèze à l'art du serrement de mains sur les marchés. Surtout il a longtemps été considéré comme le banquier du PS avant d'être rattrapé par l'affaire du Cref (complément mutualiste de retraite des fonctionnaires), affaire pour laquelle il a été condamné en première instance en juin 2011. Il décèdera en février 2014, deux mois avant le passage de cette affaire en appel.

La fin des clauses de désignation: Hollande réalise le rêve des assureurs

Pour être complet, il faut rappeler que le conseiller social de François Hollande n'est autre que l'ancien directeur de cabinet de René Teulade dans le cabinet Bérégovoy. On lui doit donc le discours de Nice dans lequel il reprend sans grande nuance les critiques contre les contrats collectifs contenues un rapport de la Cour des comptes relatif à l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de 2011. Résultat, l'annulation par le Conseil constitutionnel des clauses de désignation qui permettaient de couvrir par un accord de branche étendu les salariés de petites entreprises qui autrement n'auraient bénéficié d'aucune protection. Ce dont Denis Kessler et les assureurs rêvaient au début des années 1980, François Hollande le leur apportait finalement sur un plateau...

Les mutuelles gagnantes de la complémentaire santé pour tous? Pas si sûr

Les mutuelles allaient-elles tout de même profiter de l'obligation faite aux entreprises de s'équiper en complémentaire santé avant le 1er janvier 2016 ? Au fil des mois et de débats alimentés par les jurisprudences de la Cour de cassation et des avis des meilleurs juristes et exégètes, il apparaît que c'est beaucoup moins sûr. D'abord, parce que le poids des habitudes fait que bien des branches et des entreprises et bien des assureurs n'envisagent pas de modifier des liens contractuels qui se sont noués et renforcés au fil des années. Ensuite, d'un point de vue technique, se pose l'épineuse question de la propriété des réserves techniques constituées sur les contrats en cours. Enfin, il n'est pas certain que les transferts de l'individuel au collectif se fassent globalement à l'avantage des mutuelles historiquement peu présentes sur le segment de l'assurance collective.

Un coup de pouce maladroit et trop tardif

En tout état de cause, si l'intention de l'Elysée était d'opérer une redistribution des cartes dans la complémentaire, le moment était finalement très mal choisi. En effet, les mutuelles qui ont longtemps cru ou voulu croire à la mise en place de mutuelles européennes sont restées l'arme au pied, murées dans la certitude qu'elles finiraient par avoir toute leur place en Europe. Or, ce n'est pas le cas et Bruxelles ne connaît aujourd'hui comme hier qu'une alternative : les régimes publics (la sécurité sociale, y compris pour la France avec l'Agirc et l'Arrco qui bien qu'étant des régimes privés sont obligatoires) ou l'assurance privée.

Regroupements dans le désordre, avec retard

Résultat, les mutuelles ne se sont engagées qu'avec beaucoup de retard et, semble-t-il, dans le plus grand désordre dans un mouvement de regroupements qui a fait tomber leur nombre de plus de 6 000 en 1990, à moins de 700 aujourd'hui. Se constituent alors de grands ensembles tels celui résultant du regroupement de la Mgen et d'Harmonie mutuelle, qui ont officialisé en janvier dernier leur rapprochement. Avec à la clé une question posée par la CFDT : une telle puissance ne condamne-t-elle pas à mort la Fédération nationale de la mutualité française ?

Comme si le président d'Axa présidait la fédération des sociétés d'assurance

À trois semaines du congrès de la Mutualité à Nantes (11 au 13 juin) Étienne Caniard a tiré quant à lui toutes les conséquences de cette situation. Ayant prévenu de longue date qu'il ne se représenterait pas pour un second mandat et sachant que Thierry Beaudet, président de la MGEN est le mieux placé pour lui succéder, il a demandé la semaine dernière à son conseil d'administration une modification du règlement intérieur autorisant le président d'une grande mutuelle à le rester tout en devant président de la fédération. Une solution qui passe assez mal auprès de certains mutualistes qui se demandent ce qu'on aurait dit si le président d'AXA était devenu le président de la Fédération Française des Sociétés d'Assurance (FFSA). En tout état de cause, cela ne rend que plus nécessaire la mise en œuvre de la solution préconisée par Philippe Mixte, président de la Fnim (fédération nationale indépendante des mutuelles), à savoir la mise en place d'une fédération de mutuelles de proximité pour contrebalancer une fédération des grands groupes.

Des réformes trop tardives

Mais ces jeux d'appareils ne doivent pas faire oublier l'essentiel à savoir comment survivre sur un marché jusque là relativement stable (les mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs prenaient en charge ce qui ne l'était pas dans les 77% couverts par la Sécu et laissaient 8 % de reste à charge aux ménages). De fait, les contrats responsables, l'aide à la complémentaire santé (ACS), la remise en cause des clauses de désignation, le tiers payant généralisé, la mise en œuvre de la déclaration sociale nominative (DSN), les règles de solvabilité 2 et toutes les contraintes financières qui pèsent sur une sécurité sociale obligée de marcher au pas européen, ne créent pas une situation très favorable pour des mutuelles qui ont sans doute attendu trop longtemps pour se réformer. Et qui ne peuvent que regretter le coup de pouce que leur a malencontreusement donné François Hollande...