Il n'y a pas de miracle allemand

Par Michel Santi  |   |  639  mots
La réussite allemande est fondée sur des bases on ne peut plus fragile. Le pays doit faire face, avant tout, au vieillissement de sa population. Par Michel Santi, économiste*

Les allemands vivent et évoluent dans un univers parallèle. Leurs excédents, leur politique fiscale et budgétaire restrictive, leurs investissements anémiques sont autant d'indices irréfutables de cet autisme qui saisit l'ensemble de leurs élites. De leurs responsables politiques et économiques n'ayant de cesse d'arguer (comme pour se rassurer) que ces excédents sont des preuves de bonne santé. A la presse allemande qui, à force de radicalité et d'excès, sombre dans le populisme et incite ses lecteurs à l'isolationnisme, quand ce n'est pas à la haine du non allemand.
Pour autant, cette intransigeance allemande - qui parvient de plus en plus difficilement à masquer une situation intérieure déplorable - ressemble fort à une fuite en avant, allant de pair avec une faiblesse politique - ou avec une absence totale d'ambition ou de vision - de la part de ses dirigeants. Il est en effet si facile de braquer tous les projecteurs sur ses propres excédents comptables, alors qu'il est impératif d'entreprendre - chez soi! - des mesures structurelles.

Des bases fragiles

Car la productivité allemande - qui a été amputée de ses deux-tiers entre 2005 et 2014 - est en pleine liquéfaction. La croissance de son P.I.B.elle même est édifiée sur des bases d'une fragilité inouïe risquant de s'effondrer à tout moment et d'emporter avec l'économie du pays, puisque cette croissance est entièrement redevable à la création d'emplois précaires, très peu payés et presque pas productifs. La posture allemande arrogante et supérieure qui consiste à prescrire des réformes structurelles aux autres n'est-elle pas cocasse et pitoyable, alors que ses propres mesures structurelles et relatives à son marché du travail remontent à l'ère Schroeder ?

Une érosion significative de  la population

Il va de soi que les autorités allemandes, à l'image de la quasi totalité des économistes de ce pays, sont installés dans un déni hiératique, n'hésitant pas à triturer au passage les statistiques ou à les interpréter systématiquement en faveur de leur dogme. Les chiffres ne mentent pourtant pas car l'investissement public en Allemagne est le second le plus bas de tous les pays de l'OCDE. Doit-on décrire par exemple l'état des ponts dans ce pays dont 40% sont littéralement en ruine ? Doit-on dès lors pardonner cette attitude allemande sous le prétexte que les citoyens de ce pays sont tétanisés par l'inévitable cataclysme démographique qui les attend ? Car non seulement l'Allemagne vieillit, mais elle est en outre condamnée à subir une érosion significative de sa population. De 80 millions aujourd'hui, les allemands ne seront effectivement plus que 65 millions en 2060, bien en dessous de la population française à la même époque, sachant que 35% des allemands de 2060 auront plus de 65 ans.

Une croissance appelée à décliner

Pour l'Allemagne, la messe est donc dite et il est temps de passer au requiem, car sa croissance déclinera évidemment en même temps que sa population. Aujourd'hui, en 2015, l'Allemagne n'est même plus capable d'enrayer cet irrésistible déclin en facilitant l'accès de ses femmes au marché du travail ni même en accélérant l'immigration: ce pays n'a donc plus aucune marge de manœuvre. L'Europe et le monde ont donc un problème, qui s'appelle l'Allemagne. Et quoiqu'en disent ses dirigeants ou qu'en clament ses élites, l'Allemagne est un des problèmes du monde de demain, et pas du tout une de ses solutions.

Michel Santi est macro économiste et spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

Vient de publier "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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