Investissement locatif  : la prochaine bulle financière ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  646  mots
On se demande souvent ou passent les milliards de liquidités fournis mois après mois par les banques centrales. Depuis 2014, la BCE a acheté des actifs à hauteur de 80 puis 60 milliards d'euros par mois et sera réduit à 30 milliards par mois de janvier à septembre 2018. En d'autres temps, une telle croissance du bilan des banques centrales aurait déjà provoqué une hausse des prix des biens. Mais de nos jours, l'inflation semble avoir disparu. En revanche, les prix d'un grand nombre d'actifs financiers, des obligations d'Etat au dernier tableau de Leonard de Vinci, ne cessent de s'envoler. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC

Depuis des années, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, incitent les épargnants français à investir dans la pierre, avec un objectif afficher de construire non pour habiter, mais pour louer à des catégories de populations qui ne peuvent pas se permettre d'acheter. Selon une étude du Crédit Foncier (Septembre 2017), en 2017 l'investissement locatif concernait 16,3% des logements nouveaux, contre 11,6% en 2014. Le dispositif Pinel, en vigueur actuellement, a remplacé les dispositifs Duflot, Scellier et leurs prédécesseurs. Lancé en Janvier 2015, ce dispositif est bien plus généreux que les précédents puisqu'il octroie une réduction d'impôt maximum de 21%. Ce dispositif qui devait prendre fin en 2017 a été prolongé jusqu'en 2021 par le gouvernement.

Ce dispositif, dans un contexte de taux extrêmement bas et additionné au prêt à taux zéro, a provoqué depuis 2 ans un véritable boom dans la construction de logements neufs. La mise en chantier de nouveaux logements devrait atteindre 450.000 contre 315.000 en 2015 et revenir ainsi à un point haut qui n'avait été atteint qu'en 2008 juste avant la crise. Après un léger fléchissement du prix de l'immobilier pendant la crise de 2010-2012, celui-ci a repris une trajectoire à la hausse, pour atteindre presque le double du niveau de 1997. Conformément au vœu du gouvernement, les Français ont donc emprunté des milliards, qu'ils ont utilisés pour acheter des logements au prix fort, qu'ils espèrent louer. Selon la Banque de France, de manière indifférenciée, l'encours total des crédits à l'habitat au T2 2017 est de 944 milliards d'euros.

Cette mécanique peut être très perverse

En incitant à l'achat à crédit des logements pour la location des investisseurs convaincus que le prix du m2 ne peut qu'augmenter, cela pousse le prix de l'immobilier à continuer d'augmenter bien qu'il soit déjà élevé. En conséquence l'achat par les Français les plus modestes devient encore plus difficile, et augmente la précarité de leur retraite.

En principe, la mise sur le marché de davantage de logements destinés à la location devrait détendre le montant des loyers. Il n'en est rien, car la hausse du prix de l'immobilier vient annuler l'effet d'une plus grande offre. Les grands perdants du système français sont les Français « trop riches » pour accéder aux logements sociaux, mais pas assez riches pour accéder à la propriété.

70% des épargnants privilégient l'investissement locatif

Une fois lancée, l'augmentation du prix de l'immobilier s'auto-entretient par la croyance qu'il va continuer d'augmenter, ce qu'on appelle une bulle. Cette bulle immobilière, comme toute bulle, est menacée du risque d'une correction brutale. Cette croissance du prix de l'immobilier n'est pas engendrée par la rareté structurelle d'un bien. Elle provient bien de l'engouement de tous les épargnants pour un type d'actif « providentiel », en occurrence l'immobilier. Selon une enquête du Crédit Foncier, en 2017, 70% des épargnants privilégient l'investissement locatif comparé aux autres placements. Les leçons de la bulle immobilière américaine semblent déjà oubliées par nos concitoyens, poussés par les constructeurs et les banques dans ce mirage d'enrichissement.

Outre-manche, le gouvernement britannique a décidé de freiner par des mesures règlementaires le financement hypothécaire pour l'achat de biens destinés à la location. En France, personne ne se pose la question des risques, les lobbies des constructeurs et des agences font assaut de messages optimistes, tout comme les fabricants de cigarettes prônaient les vertus tranquillisantes de la nicotine.

Le retour à la réalité risque d'être brutal. La hausse des taux d'intérêt qui va s'opérer tôt ou tard va réduire les capacités d'emprunt. Si la spirale des anticipations change de direction, et le prix de l'immobilier chute, un grand nombre d'apprentis investisseurs se trouvera endetté pour un montant supérieur à la valeur de ses biens.