Iran : les symptômes d'un régime en déclin

Par Hamid Enayat  |   |  844  mots
L'ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême. (Crédits : Leonhard Foeger)
Sur fond de crise économique et de contestation, la réaction de l'ayatollah Ali Khamenei à la destruction de l'avion ukrainien et ses 176 vies innocentes dans et la mort tragique de 80 personnes piétinées par la foule lors des funérailles de Qassem Soleimani à Kerman est le signe d'une profonde crise du régime. Par Hamid Enayat (*), analyste et écrivain iranien basé à Paris.

Au milieu d'une crise sans précédent et après la chute de l'avion ukrainien, le guide suprême en Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, a prononcé le sermon de la prière du vendredi 17 janvier, pour la première fois en huit ans. Jahan-e San'at, l'un des quotidiens officiels en Iran, a estimé que la présence de Khamenei le 18 janvier était "une tentative de reconstruction psychologique de la société", avant d'ajouter : "Le niveau de stress était élevé chez les gens (...) ; la réhabilitation psychologique était le principal objectif du guide". Cependant, le sens implicite de ce discours était de remonter le moral en berne des forces du régime.

"Aujourd'hui, la confiance entre le gouvernement et le peuple a atteint son point le plus bas. Si un tel événement sans précédent (l'avion ukrainien abattu) s'était produit ailleurs dans le monde, de nombreux officiers auraient été arrêtés, tandis que d'autres officiers de haut rang auraient démissionné de leurs fonctions", a publié le quotidien Arman, le 18 janvier.

"Un petit problème"

A la surprise générale, quarante minutes après son discours de la prière du vendredi, Khamenei a évoqué cette énorme tragédie de portée internationale comme "un petit problème" qui a secoué le monde entier. Il ne s'est pas excusé d'avoir ordonné le tir de deux missiles sur cet appareil de ligne ukrainien qui a entraîné la mort de 176 passagers et membres d'équipage, pas plus qu'il n'a assumé la moindre responsabilité pour cette "erreur humaine".

Il a plutôt encensé les commandants des gardiens de la révolution pour avoir "expliqué à l'opinion publique comment les choses se sont passées et pour avoir dit la vérité". Concernant l'incompétence des forces sous son commandement, il a accusé "l'ennemi" d'avoir "défié les pasdaran" en abordant cette question, alors que la principale responsabilité des pasdarans est de maintenir en place la théocratie en Iran.

La raison pour laquelle le guide suprême ne mentionne pas les responsables de ce tir de missiles est l'extrême faiblesse et vulnérabilité de son régime, qui ne laisse aucune place au renvoi ou à la critique publique d'un haut responsable des pasdarans. Bien que cette réaction soit simple et ne coute rien, la dictature religieuse en Iran est si peu sûre d'elle-même qu'elle ne peut même pas se le permettre, de peur que toute démonstration de faiblesse ne finisse par accroître l'audace des jeunes et encourager l'opposition populaire.

"Une situation sensible"

Le premier vice-président, Es'hagh Jahanguiri, a décrit la situation actuelle tendue en Iran : "Le pays (lire le régime iranien) est dans une situation sensible et critique. On peut affirmer avec certitude qu'au cours des quarante dernières années, le pays n'a jamais été confronté à des défis aussi importants, à un moment où le capital social et la confiance publique ont diminué. Le choc causé par le missile qui a frappé l'avion de ligne a mis en danger la sécurité psychologique et sociale de la population. »

Le président Hassan Rohani a également évoqué cette situation complexe. Il a déclaré : "En tant que chef du Conseil suprême de sécurité nationale, je m'occupe du quotidien. Une balle sépare la guerre de la paix et, comme vous devez le savoir, une balle peut faire la guerre" (Entekhab, 16 janvier). Par "guerre", Rohani entend le soulèvement en Iran et celui des insurgés en Irak et au Liban contre les forces sous le commandement du régime iranien.

Dans son discours, Khamenei a jugé que les jeunes qui ont manifesté contre le crash de l'avion sont le fruit des médias iraniens trompeurs. Pour lui, le vrai "peuple iranien" est celui qui a assisté aux funérailles de Qassem Soleimani, et non pas ceux qui ont protesté contre l'accident d'avion. Il a également déclaré que les manifestants qui ont scandé "ni Gaza, ni Liban, je sacrifie ma vie pour l'Iran" ne sont pas prêts à sacrifier leur vie, pas plus que leurs intérêts. Or, lors du soulèvement de la mi-novembre, 1.500 jeunes manifestants iraniens qui se battaient pour la liberté et la démocratie ont été tués par les gardiens de la révolution.

En conclusion, le mépris de Khamenei pour la perte de 176 vies innocentes dans la chute de l'avion ukrainien, ainsi que la mort tragique de 80 personnes à Kerman piétinées par la foule compact des funérailles de Qassem Soleimani, donnent l'image d'un régime en déclin face à la révolte qui secoue l'Iran et la région.

*Hamid Enayat est également un activiste des droits de l'homme. Il écrit sur les questions iraniennes et régionales depuis trente ans. Il écrit avec passion sur la laïcité et les libertés fondamentales, et son analyse éclaire diverses questions géopolitiques et complexes concernant le Moyen-Orient et l'Iran. Récemment, il a collaboré avec l'agence de presse Media Express.