Jean-Michel Blanquer : "On ne peut pas s'instruire uniquement par Wikipédia"

Par Laura Baldon, Les Mardis de l’Essec  |   |  1392  mots
[Entretien Vidéo] Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation, a été l'invité le 9 avril dernier des Mardis de l'Essec, dont La Tribune est partenaire. Retrouvez ici la vidéo de son intervention et le texte rédigé à l'issue par un des étudiants.

C'est avec beaucoup d'émotion que l'Essec a accueilli comme un véritable héros son ancien directeur général, désormais ministre de l'Éducation nationale, dans le cadre d'un débat organisé par la tribune étudiante Les Mardis de l'Essec. Le ministre a commencé par rassurer son public, composé principalement d'élèves, de membres du corps professoral et de l'administration de la grande école de commerce : l'Essec est et restera toujours dans son cœur. Celui à qui la direction de l'IEP de Paris avait été refusée a aussi souligné que l'Essec n'avait été nullement un tremplin vers la rue de Grenelle.

La dernière chance pour l'école

Monsieur Blanquer, bien décidé à s'attaquer à la « dernière institution nationale française » selon ses propres mots, a défendu sa réforme du baccalauréat qui permettra, selon lui, de lutter contre les inégalités. Cette réforme constitue aussi une façon de transformer le lycée, en consacrant plus de temps à l'orientation et en supprimant les filières S, ES et L pour créer un socle commun.

De façon générale, le ministre souhaite que la personnalisation du parcours des élèves soit mieux réussie dans l'école de la République. Celui pour qui « la langue française, c'est la vie » a aussi rappelé son souhait de préparer les étudiants à un grand oral afin qu'ils s'expriment correctement, compétence nécessaire dans tout type de métier. Concernant le retour des classes bi-langues et des langues anciennes, notre invité a affirmé qu'il était à ce sujet en désaccord « philosophique » avec son prédécesseur, Madame Najat Vallaud Belkacem. Selon lui, leur disparition au nom de l'égalité avait en fait supprimé la mixité sociale. « Il ne faut pas prendre prétexte des inégalités pour ne pas faire les choses », souligne celui qui croit à une école méritocratique.

Toutefois, dans son ordre des priorités, le ministre place la valorisation de la filière professionnelle devant la réforme du bac, et derrière l'école primaire. Son idée consiste à ne plus opposer apprentissage et enseignement professionnel scolaire pour faire de ce dernier une voie prestigieuse, autant valorisée que les filières générales, comme c'est déjà le cas dans d'autres pays européens.

Pour traiter de cette question, Jean-Michel Blanquer déclare même qu'avoir été directeur général de l'Essec lui est aujourd'hui extrêmement utile. Il souhaite en effet insuffler la même logique de campus et d'innovations pédagogiques, pour former de futurs entrepreneurs grâce aux filières professionnelles et ainsi créer dans notre pays un « Harvard du pro ». Pour renforcer ce lien entre éducation générale et éducation professionnelle, le ministre approuve d'ailleurs le terme de « Ministère de l'Éducation tout au long de la vie ».

Confiance et respect

Créer une école de la confiance et du respect d'autrui suppose en premier lieu de redonner le goût d'enseigner. La dévalorisation du métier de professeur, déjà pointée dans le rapport Villani qui souligne une grande souffrance dans le corps enseignant est aujourd'hui entretenue par la détérioration de l'image de ce métier dans la société.

Celui qui répète souvent qu'il accorde beaucoup d'importance au bien-être des professeurs fait d'ailleurs remarquer que si beaucoup de Français sont aujourd'hui nostalgiques de la IIIe République, c'est en partie parce que « les hussards noirs » y jouaient un rôle central dans l'avenir et la transformation de la société. La solution ne réside pas uniquement dans l'augmentation des salaires mais aussi dans la possibilité d'une carrière à l'Éducation nationale. Pour souligner les évolutions possibles, Monsieur Blanquer fait ainsi remarquer : « À l'Éducation nationale, on peut être professeur, directeur d'établissement, recteur... et même ministre ».

Derrière cette idée réside le concept d'« effet-maître », mot savant souvent employé par le ministre pour dire une chose simple : le maître est très important et le principal enjeu du système scolaire, c'est le recrutement et la formation des professeurs.

A ceux qui croient que les progrès technologiques entrainés par l'intelligence artificielle et la multiplication des MOOCs (cours en ligne ouvert et massif) vont entrainer la disparition du métier de professeur, notre invité leur répond qu'il croit à une transformation du métier, où l'enseignant donnera du sens aux élèves et les motivera. Il pense ainsi profondément que plus il y aura de technologie, plus il y aura besoin d'humanité pour structurer les savoirs.

« On ne peut pas s'instruire uniquement par Wikipédia ».

Si la dévalorisation du métier de professeur se traduit aussi par le manque de candidats au CAPES, surtout dans les matières scientifiques, le ministre souligne que ce problème est commun à la plupart des pays occidentaux, même si c'est un cercle vicieux dont il faut sortir.

Pour cela, les secondes carrières dans l'enseignement et la reconversion des professeurs qui choisissent d'enseigner seulement une partie de leur vie doivent être facilitées pour plus de fluidité dans le système. Cela passe aussi par donner l'envie aux élèves de devenir professeur, et ce dès la fin du collège et au lycée.

Modernité et tradition... en même temps

Notre invité a aussi rappelé son attrait pour les sciences cognitives même s'il reconnait qu'elles ne permettront pas de réaliser tous les actes éducatifs de manière mécanique. Il est le premier ministre de l'Éducation nationale à inclure ouvertement les sciences cognitives dans sa réflexion.

Fidèle à l'esprit des Lumières, Jean-Michel Blanquer déclare que les nouvelles sciences vont permettre d'éclairer notre chemin en matière d'éducation dès l'école maternelle en comportant surtout des opportunités plus que des dangers pour révéler le potentiel de chaque enfant, ce qui est considérable en matière de lutte contre les inégalités. Il rappelle ainsi que Barack Obama a lancé un programme sur le cerveau il y a une dizaine d'années aux États-Unis montrant que le cerveau est un monde inexploré. Pour le ministre, il serait tout à fait criminel d'ignorer ce qu'on sait. L'Éducation doit ainsi permettre de donner sa chance à chacun.

Concernant les évolutions technologiques, le ministre met en avant le fait que chaque enfant doit avoir une culture générale qui ne dépende pas de la technologie et qu'il est fondamental de donner à chacun un contact avec la vie concrète et le bagage intellectuel qui permettra de faire preuve de discernement. Mais en parallèle, il faut une formation technologique poussée et c'est en ce sens que les disciplines numériques ont été introduites dans la réforme du lycée.

Si la France est en passe de devenir un des premiers pays au monde à se doter d'une discipline pour former les élèves au numérique c'est avant tout pour que les élèves dépassent l'usage superficiel des écrans et autres technologies. Pour vivre dans cette nouvelle civilisation, il faut donc donner deux mots clés aux élèves, pour qu'ils acquièrent un esprit critique : culture et logique. Ces deux mots sont pour le ministre les outils que chacun doit posséder afin d'éviter la post-vérité, le complotisme et l'irrationnel.

Si le ministre est aussi attaché aux sciences cognitives, c'est qu'il croit fortement à l'expérimentation : « elle permet d'avancer de manière éclairée ». Toutefois, il reconnait qu'avancer avec des choses qui ont fait leurs preuves à petite échelle peut être parfois contradictoire avec les effets d'urgence de notre société.

Finalement, pour éviter les effets de zigzag, celui qui récuse le surnom « Ctrl-Z » (raccourci clavier permettant d'annuler l'action précédente, Ndlr) assure que son mot d'ordre est de garder ce qui marche et changer ce qui ne marche pas. Notre ancien directeur général a affirmé que son objectif était de refaire de la France un pays de référence dans le système scolaire mondial tout en mettant l'école publique à l'avant-garde de notre pays et en permettant aux professeurs qui ont un projet éducatif commun de réussir collectivement.