Jusqu'où aller dans l'interdiction des insecticides ?

Par Nicolas Bouzou  |   |  621  mots
Faut-il interdire les pesticides de la famille des néonicotinoïdes ? Jusqu'où aller dans le principe de prudence extrême? Par Nicolas Bouzou, directeur du cabinet Asterès

Le 17 mars, l'Assemblée nationale a voté l'interdiction des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, sur le territoire français à compter du 1er septembre 2018. Saluée par les ONG de défense de l'environnement, l'interdiction a entraîné une forte opposition de la part des producteurs de produits phytosanitaires et du monde agricole. La discussion en seconde lecture au Sénat -qui a décidé d'annuler cette interdiction- nous donne l'occasion de réfléchir à ce qui constitue le principal enjeu de politique publique pour le début du 21e siècle : la notion de régulation qui découle elle-même de celle, philosophique, de prudence.

 Le principe de prudence

La prudence est un principe d'action, encore faut-il l'entendre au sens des anciens et non au sens frileux des contemporains. La prudence, c'est assembler des moyens de la manière la plus intelligente pour atteindre une fin vertueuse. Comme le note Aristote, la prudence porte autant sur les moyens que sur le but. La prudence ne nous enjoint jamais de ne rien faire. Ce serait la confondre avec la précaution de notre « Principe de précaution » qui, dans les faits, procède souvent de l'interdiction. La prudence est un principe d'intelligence et c'est bien de cette façon qu'il conviendrait de réinterpréter notre principe de précaution, souvent stérilisant quand il est appliqué avec tout le zèle administratif dont un parlement pléthorique et une bureaucratie efficace sont capables.

 Prudence et impasse

Appliquée au sens de la précaution, la prudence mène à l'impasse. Dans l'exemple cité, un retrait brutal des substances néonicotinoïdes du marché français va affaiblir les agriculteurs qui en sont fortement dépendants et porter un préjudice durable à un monde agricole déjà en crise et qui utilise, c'est là toute l'ironie, des semences beaucoup moins néfastes à l'environnement qu'il y a 20 ans. En outre, il n'existe pas à l'heure actuelle de substituts aussi efficaces que les néonicotinoïdes, ce qui constitue l'un des raisons pour laquelle ce retrait semble prématuré au regard de l'état du débat scientifique. La prudence, c'est de considérer que la transition vers une agriculture moins chimique ne peut être que graduelle, faute de quoi elle ne se fera pas. La prudence, c'est de repousser l'interdiction (sans forcément la perdre de vue) de manière à laisser un temps d'adaptation nécessaire aux agriculteurs et de recherche à l'industrie chimique de de lui donner un caractère européen. La prudence exige de poursuivre les évaluations scientifiques par les agences indépendantes et de s'en tenir à leurs conclusions afin d'éviter un débat trop passionnel. L'ANSES (Agente Nationale de Sécurité Sanitaire) est parfaitement calibrée pour cela.

 Prudence mal placée

Notre prudence précautionneuse est souvent mal placée. Nous persistons à nous méfier des biotechnologies végétales, des vaccins et de l'industrie agro-alimentaire, alors même que les scandales alimentaires sont aussi rares que les accidents d'avion et que la balance avantage / risques des vaccins et incroyablement positive. En revanche, nous laissons se développer un chômage de masse structurel et sommes incapables de faire passer une réforme minimaliste et nécessaire comme la Loi El Khomri. Combattre les néonicotinoïdes oui, le chômage non.

 Seule l'intelligence et le goût du débat rationnel nous permettront de mettre en place les justes régulations qui sont sur le fil du rasoir. Soyons prudents mais pas précautionneux et encore moins paranoïaques. La paranoïa et la précaution mènent à l'inaction. Mais sachons que l'innovation ne contribue au progrès humain qu'à la condition de la prudence.