L'Antarctique : laboratoire du bout du monde (1/5)

Véritable laboratoire à ciel ouvert, l'Antarctique est à la fois le témoin et la victime du réchauffement climatique. Premier volet d'une série de cinq textes de Didier Schmitt, ancien membre du Bureau des Conseillers de Politique Européenne

« Si la Terre était plate, c'est ici qu'elle finirait! Mais en ce qui me concerne c'est là qu'elle commence pour les semaines à venir. Après une rude traversée depuis la Tasmanie nous sommes émerveillés par la pureté de la banquise et avons hâte de voir les manchots de plus près. De la proue de l'Astrolabe je pense inévitablement à cet explorateur téméraire, Dumont D'Urville, qui a quitté les côtes françaises il y a 180 ans et a été le découvreur de cet endroit après deux ans de navigation. Il a baptisé ce bout de paradis, Terre Adélie. »

En plus d'être une archive du climat passé, l'Antarctique est surtout un temporisateur des bouleversements climatiques. Il agit comme un glaçon qui maintient le pastis à la bonne température. Si ce thermostat venait à fondre (70% de l'eau douce de la planète), les océans seraient dilués, certains courants marins inversés, et avec une montée des eaux de 60 mètres c'est littéralement la face du monde qui serait changée en quelques générations.

Terre de paix et de science

La recherche scientifique est l'essence même du Traité sur l'Antarctique. Ce dernier stipule « qu'il est de l'intérêt de l'humanité toute entière que l'Antarctique soit à jamais réservé aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l'enjeu de différends internationaux ». Ceci témoigne du fait que ce continent n'était pas au cœur des enjeux géostratégiques dans les années 50, et c'était mieux ainsi. Force est de constater que mise à part la période des expéditions héroïques au tournant du XXème siècle, l'Antarctique est largement ignoré par les médias. Il est vrai qu'il est toujours très difficile de s'y rendre et que l'obsession de l'information instantanée n'est pas une caractéristique de ce lieu. Et pourtant c'est un endroit unique, surtout pour comprendre ce qui va influencer la vie des générations à venir: le chamboulement climatique.

Un laboratoire à ciel ouvert

C'est au navigateur Charcot que l'on doit la première présence française il y a plus de 110 ans. En effectuant des relevés et des échantillonnages il a été un 'défricheur de science' tout azimut. Actuellement les recherches ne se font plus dans ce cadre 'opportuniste' car elles sont intégrées aux différentes disciplines, telles la climatologie, la glaciologie ou l'impact du réchauffement sur la biologie marine. En ce sens l'environnement polaire ne diffère pas du spatial ou du marin car il est un milieu et non une matière scientifique. Ainsi, l'Institut polaire français Paul Emile Victor (IPEV) est un pourvoyeur de moyens, comme le sont les bateaux océanographiques ou la station spatiale internationale. Comme tous projets d'envergure ceux-ci sont évalués non seulement au niveau scientifique mais aussi dans leur rapport coût/intérêt.

Le continent des superlatifs

Les distances sont hors norme; ainsi, traverser le continent blanc est plus long que d'aller de Tromsø au nord de la Norvège à Faro au sud du Portugal. L'inhospitalité de ces lieux demande un savoir-faire et une détermination à toute épreuve pour qui souhaite s'y rendre et/ou s'y établir. Et pour cause, l'Antarctique est le continent le plus froid (en dessous de -80°C en hiver), mais aussi le plus venteux, le plus surélevé (avec sa couche de glace) et curieusement le plus sec de la planète. Ce qui fait que le fond des glaciers - dont la profondeur peut atteindre plus de 4 km - provient de la neige tombée il y a plus d'un million d'années. Les résultats sont donc à la 'hauteur'. Les forages du programme EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica) ont démontré que le taux actuel de gaz carbonique atmosphérique est près d'une fois et demi supérieur à celui de toutes les périodes inter-glacières depuis au moins 800 000 ans.

A la fois témoin et victime du réchauffement climatique

Dans ces étendues de glace à l'infini, sans faune ni flore, le temps semble figé. Mais il n'en est rien. Au contraire, les choses se précipitent car, comme par contagion, la fonte des glaciers s'y accélère aussi. Bien que protégé par un courant marin circumpolaire, les eaux côtières antarctiques se réchauffent et les langues glaciaires ont commencé à fondre plus vite à leur embouchure. C'est un cercle vicieux qui a démarré ces dernières années avec l'accélération du glissement et donc du déversement des calottes vers la mer.

Les modélisations à partir des mesures sur place, combinées aux données satellitaires, sont alarmantes. Les impacts économiques se feront également sentir à moyen terme. Les mers australes sont les plus poissonneuses du monde. Mais le biotope y est particulièrement précaire car la chaîne alimentaire, dont fait partie le krill, semble très sensible à de petites variations de température. L'inquiétude est grandissante aussi au nord, car actuellement la température y excède la normale saisonnière de 20°C! Du jamais vu.

 Prochain article à paraître: 'Hibernage' dans le grand Sud (2/5)

 Didier Schmitt est un ancien membre du Bureau des Conseillers de Politique Européenne, à la Commission Européenne et membre du Service Européen pour l'Action Extérieure. Il est l'auteur du récent livre "Antéversion: ce qu'il faut retenir du futur", aux éditions Fauves.

Les opinions exprimées dans le présent article sont uniquement celles de l'auteur.

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