L'autre "grand remplacement" qui guette la France insoumise

Par Badr Boussabat  |   |  824  mots
Jean-Luc Mélenchon lors d'un meeting à Montpellier, le 13 février. Le leader de la France insoumise est candidat à l'élection présidentielle. (Crédits : Reuters)
OPINION. La montée en puissance de la numérisation des activités économiques va modifier en profondeur la sociologie des salariés, notamment des ouvriers, en les transformant demain en créateurs de données qu'ils convertiront en capital. Une évolution qui rend inéluctable le déclin de l'idéologie défendue par la France insoumise. Par Badr Boussabat (*), entrepreneur et président de AI TOGETHER.

Depuis plusieurs années, la France insoumise connait une envolée électorale qui lui offre un rôle d'opposant majeur. Un rôle sublimé par ses orateurs, comme Jean-Luc Mélenchon, qui fustigent les majorités qui se succèdent. Cependant, l'essentiel de ce parti est destiné à s'effondrer dans les dix années à venir et ce, pour des raisons structurelles qui dépassent son combat. Loin de ses intentions louables, le parti est construit sur un socle idéologique qui s'effrite au fur et à mesure que l'ère numérique se généralise. Plusieurs dynamiques appuient ce constat.

Révolution des relations sociales

D'abord, la France insoumise s'articule autour d'une idéologie marxiste qui fonde son combat sur un conflit immuable entre le marchand de capital et l'ouvrier. Ce conflit a longtemps alimenté le combat politique des insoumis et des communistes jusqu'aujourd'hui. Toutefois, ce conflit va se dissiper pour prendre une autre forme. En effet, le métavers, l'intelligence artificielle, les cryptomonnaies et la blockchain vont révolutionner les relations sociales et donc l'infrastructure, au sens marxien du terme. A titre d'illustration, l'intelligence artificielle est en train d'automatiser une grande partie des tâches pénibles et répétitives dans les usines. Actuellement, le taux moyen d'automatisation est autour de 50%. Dans moins de 10 ans, ce pourcentage atteindra sans doute les 90%. Par conséquent, il y aura une mutation très significative du métier d'ouvrier dont la responsabilité sera davantage managériale. Cette transformation du métier, par conséquent désaliénante, demandera d'autres aptitudes et, in fine, causera une tendance haussière de la rémunération. Autrement dit, la nature du métier que la France insoumise défend bec et ongles n'existera plus.

Ensuite, le contexte des métavers et de l'IA, qui caractérisent l'ère numérique dans laquelle le monde est en train d'être plongé, va octroyer à toutes et tous la possibilité de créer de la donnée. Cette dernière est en train de devenir le nouveau capital. Contrairement à la monnaie, les données sont créées de manière libre, infinie, sans effort et sans risque. Par conséquent, en période de crise comme de croissance, tous les individus auront à disposition un capital de données garanti les protégeant d'un contexte de licenciements économiques. Cette transformation sociétale constitue une dissonance avec le projet politique des insoumis et des mélenchonistes qui s'inscrit encore dans un registre industrielo-monétaire. En outre, il n'est pas pertinent de défendre les ouvriers en revendiquant plus de taxes, lorsque la base même du dispositif d'imposition des insoumis se base sur un système monétaire qui disparaitra à cause de sa finitude. Alors que la production de données est infinie. Donc, la numérisation quasi-complète de la société dans les 5-10 années à venir mènera le combat des insoumis dans une impasse idéologique fatale.

Propriétaire des facteurs de production

De surcroit, si nous postulons que tous les individus sont capables de produire un capital de données, la distinction entre le producteur et le consommateur/ouvrier sera de moins en moins importante, jusqu'à disparaitre. Effectivement, l'ouvrier sera également un marchand de données qu'il investira dans les projets de son choix. En effet, les entreprises numériques ont besoin de données pour alimenter leurs intelligences artificielles et développer la qualité de leurs offres.

En outre, l'ouvrier sera propriétaire des données et donc des facteurs de productions. Contrairement au modèle industriel où le grand patron avait le contrôle intégral de l'économie productive. Dans ce cas de figure, l'ère numérique redistribue les rôles de producteur et de consommateur pour créer des dynamiques nouvelles. Ces dernières vont progressivement effacer le conflit archaïque qui existe entre le marchand de capital monétaire traditionnel et l'ouvrier. Et indirectement, elles précipiteront la pensée marxiste, pilier idéologique des insoumis, dans les abysses de l'histoire de la pensée.

Intégrer les subtilités de l'économie numérique

Enfin, cet itinéraire numérique, qui offre de nouvelles opportunités, ne résoudra pas complètement les problèmes socio-économiques. Il sera nécessaire de défendre la situation des moins nantis, même dans un système économique où la donnée est créée plus aisément que la monnaie. Pour y parvenir, les partis de gauche, comme les insoumis ou EELV, devront davantage intégrer les subtilités de l'économie numérique. Ils devront aussi sortir du paradigme de lutte des classes représentatif d'une révolution industrielle déjà lointaine. Deux choix s'offrent à eux. Soit ils se métamorphosent avant 2027, soit ils disparaitront.

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(*) Auteur de "L'intelligence artificielle dans le monde d'aujourd'hui", (éd. Editions Luc Pire)