L'avenir de l'Europe se joue aussi sur la question des réfugiés

Par Viviande Beaufort et Camille Toumelin  |   |  849  mots
Si l'Europe ne trouve pas de vraie réponse humanitaire et diplomatique au drame des réfugiés, c'est son existence même qui sera mise en cause. par Viviane de Beaufort, professeur et co-directrice du cursus en droit et du Centre Européen de Droit et d'Economie de l'ESSEC Business School et Camille Toumelin, étudiante à l'ESSEC Grande Ecole

Les évènements qui ont marqué l'été 2015 font froid dans le dos. Les images bouleversent, tandis que le nombre de migrants portés disparus ou retrouvés sans vie ne cesse de grimper. L'indignation est présente, mais est-elle un moteur suffisant pour lancer de nouvelles politiques d'accueil qui tardent depuis tant d'années et des politiques communes efficaces tout de suite mais surtout viables sur le long terme ?

 Un lourd bilan humain

Depuis le début de l'année, plus de 350 000 personnes ont traversé la Méditerranée, fuyant la guerre et dans l'espoir de trouver asile dans les pays européens, notamment en Allemagne qui s'attend à recevoir plus de 800 000 demandes d'asile d'ici la fin 2015. Entre les conditions terribles des traversées et la cupidité des passeurs mal intentionnés, le bilan humain est lourd.

On estime à plus de 30 000 le nombre de migrants morts sur les routes, sans compter les nombreux disparus. C'est un exode et cette vague migratoire, la plus importante depuis la Seconde guerre mondiale met à mal une Europe déjà affaiblie par la crise économique et les disparités régionales. Le moment semble vraiment mal choisi pour que les pays du « vieux continent » fassent front pour régler la situation et accueillir ces populations vulnérables. A moins que, à moins que cette énième crise après celle des banques, puis de l'économie (Grexit), puis des affrontements politiques (Ukraine, etc), parce qu'elle touche à l'humain nous donne enfin le ressort pour agir ensemble

Multiplication de mesures d'urgence

Où en est-on concrètement ?

La prise de conscience des peuples européens s'est largement fait sentir ces derniers temps, exacerbées par les évènements chocs relatés dans les médias. Aussi, la découverte de 71 cadavres en décomposition (donc une fillette de un an) dans un camion abandonné en Autriche le 27 août dernier a relancé la vague d'indignation, qui a atteint son paroxysme après la diffusion des photographies d'un enfant de 3 ans, Aylan Kurdi, noyé en tentant de gagner la Grèce depuis la Syrie avec sa famille, le 2 septembre dernier.

D'abord réticents à l'égard de ses migrants, les politiques européens multiplient les mesures d'urgence pour accueillir ces populations déplacées, notamment parce que les peuples d'Europe ont protesté. Le sort de ces personnes n'est pas sans rappeler l'exode des juifs au sortir de la guerre mondiale, le cas spécifique des Syriens chrétiens et musulmans fuyant leur pays en feu depuis maintenant quatre ans sans que personne n'ait réellement bougé, au-delà de quelques protestations et missions sur le terrain pour étudier la situation.

Répartir la charge de l'accueil des migrants

Les pays européens tentent à présent de se répartir la lourde charge de l'accueil des migrants. L'ONU a appelé à l'instauration de quotas par pays, lié aux capacités d'accueil respectives. L'Allemagne a déjà débloqué plus de 6 milliards d'euros sur le budget 2016 pour permettre à ses municipalités d'offrir des conditions décentes de vie aux populations arrivantes et de nombreux politiques français suivent le mouvement. La Commission Européenne a proposé une répartition : l'Allemagne serait ainsi appelée à accueillir 31 443 personnes, la France 24 031, l'Espagne 14 931, etc. Le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark sont en négociation avec Bruxelles. L'Italie, la Hongrie et la Grèce ont saturé leurs capacités d'accueil et il y a parfois des réactions de rejet violentes (Hongrie).

Trouver des réponses juridiques communes

L'émotion, moteur d'action dans l'urgence, soit ! Mais comment trouver à présent des réponses juridiques communes aux demandeurs d'asile ? Sont-ils des réfugiés politiques, des migrants économiques ? Actuellement, selon la règle de l'UE prévoit que seul le pays par lequel sont entrés les migrants est tenu d'examiner la demande d'asile. L'Allemagne a accepté de déroger à cette règle, mais un problème de statut va vite émerger pour ces populations déracinées.

Des discussions sont en cours pour élaborer des mesures de long-terme. Réflexion mise à mal par une grande disparité des consciences européenne. Si certains dirigeants, d'Angela Merkel à David Cameron, ont appelé à une vaste politique d'accueil, la Hongrie directement touchée étant donné sa position géographique est réfractaire : Viktor Orban, réélu en 2014, prône une fermeture non négociable des frontières et une clôture de barbelés de 175 km a déjà été érigée entre le pays et la Serbie. La politique anti-migrants est assumée, « leur origine menacerait en effet l'identité chrétienne du continent ».

En Grèce, les déboires économiques vécus par la population amoindrissent le sentiment de solidarité. Ce sont bien les valeurs même de l'Europe, valeurs d'accueil et de respect de la vie humaine qui après la menace Grexit sont brutalement interpellées.

Si l'Union européenne ne trouve pas de réponse humanitaire mais également diplomatique et militaire, a-t-elle encore la moindre raison d'exister ?

Viviane de Beaufort, professeur et co-directrice du cursus en droit et du Centre Européen de Droit et d'Economie de l'ESSEC Business School