L'énergie va devenir un produit industriel plutôt qu'une simple ressource

OPINION. Dans une récente analyse, François Lévêque en arrivait à la conclusion que, dans l'Union européenne, « la politique énergétique se dissout progressivement dans la politique climatique ». Or il n'en est rien, à condition de changer de perspective sur la façon dont on conçoit la notion d'énergie dans nos sociétés industrielles. (*) Par Dominique Chauvin, prospectiviste.
A Marville, dans la Meuse, la construction de la seconde plus grande centrale photovoltaïque de France prend fin. Installée sur les 155 hectares de l'ancienne base aérienne, abandonnée par les militaires en 2002. Cette centrale est un projet écologique et agricole. Les 360.000 panneaux solaires devraient alimenter le canton en électricité, mais elle permet également à un jeune éleveur ovin de s'y installer avec ses 600 moutons pour assurer l'entretien de la zone.
A Marville, dans la Meuse, la construction de la seconde plus grande centrale photovoltaïque de France prend fin. Installée sur les 155 hectares de l'ancienne base aérienne, abandonnée par les militaires en 2002. Cette centrale est un projet écologique et agricole. Les 360.000 panneaux solaires devraient alimenter le canton en électricité, mais elle permet également à un jeune éleveur ovin de s'y installer avec ses 600 moutons pour assurer l'entretien de la zone. (Crédits : Reuters)

« On ne subit pas l'avenir, on le fait » (Georges Bernanos)

Dans un article récent de La Tribune, le Professeur François Lévêque fait un constat qu'il se propose de partager avec ses lecteurs en se défendant qu'il puisse être « l'expression d'un sentiment d'amertume ou de satisfaction ». Ce constat serait que : « La politique énergétique se dissout progressivement dans la politique climatique ».

Cette amertume ou cette satisfaction fait référence au nucléaire, sujet auquel ce professeur de l'école des Mines s'est intéressé pendant une dizaine d'années comme chercheur, au point d'en écrire un livre remarqué et qui fait référence sur le positionnement du sujet mais qui une fois de plus dans le texte de son article introduit le doute au sujet du nucléaire, sur la possibilité de rétablir un équilibre salutaire à Bruxelles, face à la « supériorité de l'Allemagne à défendre ses propres choix énergétiques ». Ce doute, cette ambiguïté dans le positionnement est à l'instar du titre de son livre : « Nucléaire : ON/OFF ». Au lecteur le soin de choisir et à d'autres le soin de s'engager pour sauver le nucléaire comme outil d'une politique climatique.

Bruxelles contre le nucléaire

Toutefois, dans un sursaut de volontarisme, il interroge les manœuvres de la Commission européenne contre le nucléaire comme une preuve que la politique énergétique peut encore l'emporter sur des politiques climatiques au vu du paradoxe que le gaz pourtant fossile pourrait bénéficier d'obligations vertes alors que le nucléaire pourtant neutre en carbone en serait exclu.

Cette décision de Bruxelles lui permet de préciser son constat comme « l'expression d'un double retournement » et, cette fois, on perçoit dans le texte que c'est plutôt l'amertume qui l'emporte. Je cite par soucis de clarté : « Le nucléaire n'est plus une source d'énergie pour l'Europe et la politique de l'énergie, ou plutôt ce qu'il en reste, est définitivement reléguée au niveau national ». Dont acte : exit la politique énergétique de l'Union européenne !

Est-ce bien vrai ? ne doit-on pas au contraire porter un regard plus optimiste et conquérant, en tous cas différent de ce constat anti-prospectif, qui ne révèle pas au fond la profondeur de cette inversion de priorité.

Pour cela, il faut d'abord comprendre l'évolution historique et prospective de l'énergie et le changement de paradigme qu'elle porte : basée sur des ressources fossiles avec un contenu industriel faible dans la valeur ajoutée mais avec des externalités fortes qui les condamnent aujourd'hui, les énergies sont vouées à muter malgré des progrès industriels et environnementaux désespérés, couteux  et insuffisants pour les sauver ; progrès reconnus et salués par tous sous le vocable d'efficacité énergétique que ce soit en amont et/ou en aval de chaque filière. Mais progrès voués à l'échec pour les énergies fossiles car à rendement décroissants !

La rupture créée par les énergies renouvelables

La rupture qu'apporte les énergies renouvelables, et ce qui en font leur singularité, réside dans les énergies primaires utilisées, qualifiées de propres, abondantes, gratuites et disponibles : le soleil, le vent, l'eau et demain... le CO2. Du coup, le défi devient industriel pour récolter, transformer, réguler, stocker, distribuer ces énergies primaires en une ou plusieurs énergies finales plus universelles et transparentes à l'usage. La valeur ajoutée de ce processus devient donc d'abord industrielle puis économique et  financière et  de surcroît locale, nationale ou européenne permettant ainsi de réinvestir la totalité de cette valeur ajoutée dans la recherche, le développement et le social pour une prospérité qui résulte de notre décision et compétence collective et non plus d'une valeur de rente payée à des pays producteurs, rente qui, objet funeste, varie de façon exogène et à notre détriment en fonction du prix de la géopolitique et/ou de la rareté.

L'énergie qui était une ressource va ainsi devenir un produit industriel choisi et, à terme, on « fabriquera » l'énergie comme on fabrique des voitures dans une usine avec un design ! Bien sûr, et à l'instar des voitures, il faudra encore utiliser des ressources mais différentes et dans des proportions bien moindres que les ressources énergétiques du paradigme précédent. Assurément, on n'en est pas encore là et la flambée récente des prix du gaz et de l'électricité, dont l'ampleur a surpris les experts, sont bien là pour nous rappeler encore la prééminence des ressources et de leurs aléas dans la question énergétique. Mais, clairement, pour s'en prémunir, il faut accélérer cette dimension industrielle de l'énergie et non pas penser que la politique énergétique, « définitivement reléguée au niveau national » d'après François Lévêque, doive se cantonner à distribuer des chèques aux plus fragiles pour compenser une hausse des prix qui nous échappe, à défaut de hausser le débat sur l'avenir du nucléaire !

La France, un pays précurseur

Or il se trouve que la France a été précurseur dans cette approche industrielle de l'énergie avec précisément... le nucléaire ; tellement vertueux qu'il offre aujourd'hui à l'Europe l'électricité la moins chère, la plus stable en termes physiques et aussi en termes de prix, sans doute la plus propre et très faiblement dépendante des ressources énergétiques étrangères puisque l'uranium ne représente que de l'ordre de  5 % dans sa valeur. Pourquoi donc avoir le nucléaire honteux ou douter de son utilité et de son avenir puisqu'il est sur la trajectoire prospective qui s'impose : la trajectoire industrielle. Encore faudra-t-il le rendre plus efficace, encore plus propre (génération IV, fusion) nettement moins cher et le miniaturiser (SMR). Sur ce dernier point, l'expert qu'est aussi François Lévêque ne pourra qu'abonder dans ce sens.

Aussi, le constat plutôt amer que fait l'auteur de l'article n'est en fait que le résultat du contresens prospectif qu'il fait : la politique énergétique devra se dissoudre dans la politique industrielle et pas dans la politique climatique. D'ailleurs, la politique climatique n'existe pas en tant que telle. Il s'agit d'un objectif : la neutralité carbone en 2050 ; objectif très contraignant qui imposera de bâtir des stratégies industrielles et financières fortes pour y arriver car, paradoxalement, cet objectif de neutralité carbone n'a aucune chance d'être atteint sans une croissance prospère générant les moyens financiers, industriels et humains puissants qui permettront d'investir dans les technologies d'avenir pour « fabriquer » industriellement l'énergie propre dont l'industrie et la société ont besoin.

En quelques sortes, l'énergie devient endogène à l'industrie et à la société dans un cercle vertueux (au sens de l'économie circulaire) qu'il faut améliorer et concentrer pour rendre encore plus rentable ce moteur industriel qu'est devenu l'énergie au service du climat. Il ne faut pas se tromper de récurrence !

Une politique industrielle plus large

Toutefois, si le constat, à mon sens incorrect, que fait le Professeur François Lévêque dans son article, permet d'ouvrir et de provoquer un débat sur la politique énergétique/climatique/industrielle de la France et de l'Europe, il aura été utile en particulier pour pointer « la perte d'autonomie de la France sous l'effet de sa désindustrialisation massive au cours des 20 dernières années », comme le faisait remarquer avec beaucoup de pertinence Christian de Saint Etienne dans un article économique récent. L'erreur est de ne pas comprendre que la politique énergétique doit se dissoudre dans une politique industrielle plus large, plus ouverte et plus synergique à objectifs multiples dont celui du climat mais avant tout pour privilégier un objectif de rentabilité, indispensable et cohérent à tout autre objectif à remplir, dont celui du climat.

Place à l'action donc et à la mobilisation pour se faire l'artisan d'une politique industrielle européenne plus forte ; dans laquelle le nucléaire aura toute sa place.

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Commentaires 3
à écrit le 04/10/2021 à 9:08
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Monsieur Lévèque, j'espère que vous aurez un discours un peu plus punchy pour vos élèves ingénieurs et ceux du Corps des Mines. Comme dirait Xavier Bertrand : l'éolien, Y-en-a Marre

à écrit le 03/10/2021 à 17:08
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on presente Bruxelles comme le vilain. Mais,...si Bruxelles ne faisait que defendre la libre concurrence contre un systeme de pots de vin national (EDF, SNCF, Framatome,ect.) ? Aujoud hui ,defendre le nucleaire est inviable. Les chiffres parlent d e...

à écrit le 02/10/2021 à 18:03
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En effet c'est un sujet majeur dont on n'a pas l'impression que les propriétaires d'outils de production et de capitaux en prennent toute la mesure loin de là, il faut être pragmatique et utiliser le solaire sur des terrains pauvres ou pollués afin d...

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