L'Europe surmontera-t-elle la crise des migrants ?

Par Stéphanie Lhomme  |   |  878  mots
La fermeture des frontières en Europe serait une catastrophe pour l'économie. Prétendre que la solution viendra du Moyen-Orient est illusoire. L'Europe doit réagir. Par Stéphanie Lhomme, Directrice régionale Europe & Afrique et Directrice Générale France - Control Risks

L'actualité européenne au 1er semestre de 2015 a été largement dominée par la crise de la zone euro et en particulier son impact sur la Grèce. Avec la stabilité plus ou moins revenue sur la situation grecque, la panique s'est dissipée et la crise de l'euro a disparu du paysage médiatique ; les théories de la fin proche de l'Union Européenne n'intéressaient plus guère. Mais depuis une autre crise européenne s'est développée, existentielle celle-ci et porteuse d'un risque inédit sur l'environnement politique et économique dans l'UE en 2016 et pour les années à venir, la crise des migrants.

Les contrôles aux frontières, une menace pour l'économie

Si les flux de migrants ne cessent pas et si les États européens ne peuvent s'accorder rapidement sur un système aux frontières efficace, la pression sur Schengen sera insupportable et probablement fatale. Certains états en sortiront et réintroduiront le contrôle à leurs frontières de manière unilatérale et incitant les États voisins à faire de même. Or, pour les entreprises et le peuple européens, c'est aujourd'hui une plus grande menace pour le fonctionnement de l'économie que la sortie éventuelle d'un ou même plusieurs pays de la zone euro. Les entreprises dépendent fortement de leurs chaînes d'approvisionnement, les biens se déplaçant rapidement et avec fluidité à travers les frontières nationales, sans arrêt ni droits de douane. Une remise en cause de cette libre circulation pénaliserait l'économie globalement et rapidement.

 Qui protégera Schengen?

En outre, les européens ont pris l'habitude de passer les frontières, désormais quasi invisibles, au quotidien. 10% de la population de la zone Schengen habite à moins d'une heure d'une frontière nationale et la traverse librement, inconsciemment pour se rendre au travail, se détendre, faire les boutiques, c'est désormais un style de vie. Rétablir des contrôles aux frontières aurait en fait des conséquences plus importantes que le rétablissement de monnaies locales, en particulier à l'ère des paiements électroniques. Le paradoxe est que Schengen est désormais pris pour acquis, mais que peu de personnalités influentes sont prêtes à s'exprimer et clamer qu'elles feront tout ce qui est nécessaire pour le protéger, comme le chef de la BCE Mario Draghi l'a fait avec l'euro.

Il est peu probable que la problématique Schengen soit une cause que les peuples européens vont prendre à cœur. Mais il sera pourtant essentiel pour eux de le faire. Angela Merkel vient encore de parler de « solidarité » européenne. Aspiration ou réalité ? Présente ou passée ?

 Trouver une issue à la crise

Si l'on peut espérer que les flux de migrants ralentiront avec l'hiver, un arrêt complet est peu probable, et en tout cas ne serait qu'un répit temporaire. Répit qui permettrait peut-être aux gouvernements européens et à l'UE de trouver une issue efficace et appropriée à cette grave crise ; prétendre que la solution viendra du Moyen-Orient est illusoire. Cette crise est partout et nulle part en même temps - omniprésente dans notre presse quotidienne mais réelle sur des terrains et frontières lointains. Ce n'est pas un hasard si nous en avons mesuré l'importance et les potentielles conséquences quand elle s'est rapprochée de nos gares, de notre tunnel sous la manche, de nos ports ou de nos grandes villes en particulier en saison de vacances. Beaucoup cependant en sous-estiment l'ampleur et la complexité, par peur sans doute; la réduisant à un sujet de sécurité aux frontières, de règles de droit, de conflit lointain ou de crise humanitaire.

Un soutien faible de l'opinion allemande

C'est en fait tous ces sujets à la fois, interconnectés et interdépendants : la décision de l'Allemagne de donner l'asile aux réfugiés syriens a déplacé le débat sur le terrain de la moralité. Au lendemain du congrès de la CDU, c'est un million de réfugiés que le pays a accueilli. Cependant le soutien de l'opinion publique reste faible en Allemagne et plus faible encore dans les pays d'Europe centrale, passages obligatoires des migrants. Les contrôles et restrictions aux frontières sont progressivement réapparus avec la suspension provisoire des accords de Schengen. Cette hésitation et les désaccords n'ont fait que s'accentuer depuis les attentats de Paris en novembre 2015 et la révélation que certains des assaillants sont entrés en Europe via la Grèce, comme de simples migrants et avaient circulaient souvent et librement entre la France et la Belgique.

La crise des migrants menace l'UE à bien d'autres égards. L'incapacité de l'Union Européenne à s'accorder sur une solution acceptable par tous et efficace va remettre en cause sa crédibilité en tant qu'institution. Ce sera d'autant plus vrai dans les pays qui ont déjà accumulé des griefs envers l'Europe : dans ceux qui la tiennent responsable des politiques d'austérité et de leurs conséquences sur les peuples, comme la Grèce, ou le Royaume Uni où un referendum sur le sujet de la sortie de l'UE ne cesse d'être repoussé.