L’impasse économico-sociale de Macron

Par Olivier Passet, Xerfi  |   |  804  mots
(Crédits : DR)
La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, l’impasse économico-sociale de Macron

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Emmanuel Macron opère sa rentrée sociale, avec il le sait, une France moyenne déclassée aux aguets. Et ce mur des invisibles, rendu soudain visible par leur gilet jaune, constitue un sérieux obstacle à la conduite de ses réformes. La politique de réforme d'Emmanuel Macron s'est bâtie jusqu'ici, comme dans l'ensemble des pays avancés, sur une vision assez sommaire du corps social. Celle véhiculée par les économistes.

Avec d'un côté les exclus du marché du travail, les moins qualifiés, qui ont pris de plein fouet la concurrence des pays émergents. Les chômeurs, ou les CDD courts condamnés à l'intermittence à vie. C'est sur ce segment de la population que se pose la question du caractère disqualifiant des législations protectrices de l'emploi, du  salaire minimum ou des normes garantissant le caractère décent du travail (notamment concernant les horaires atypiques ou le travail le dimanche). Et l'objectif des réformes est précisément de dégrader les normes qui entourent le travail le moins qualifié, avec en retour une baisse du chômage et une hausse du taux d'emploi de ces populations, pour aligner la France sur les standards internationaux

De très fortes inégalités primaires

D'autant que le choix français, de préserver jusqu'ici la qualité de l'emploi a un coût de moins en moins soutenable. L'exclusion par le chômage, ou par l'activité intermittente que recouvrent les CDD courts, est une source de très fortes inégalités primaires, entre ceux qui ont accès à un revenu complet et stable et ceux qui ne l'ont pas. Et qui du coup ne sont pas protégés par le SMIC. Et cette distorsion primaire, très puissante en France met à très forte contribution l'appareil redistributif. La France demeure en effet un pays relativement égalitaire : grâce à l'importance des aides sociales ciblées sur les plus pauvres, à la prime d'activité, à une assurance chômage profilée pour sécuriser l'intermittence, et surtout grâce à l'accès universel à une multitude de services essentiels (santé, éducation), dont le coût a été socialisé.

Et ce coût, enfin, a été largement reporté sur les plus riches, en termes de revenu et de patrimoine, au risque de fragiliser l'attractivité du territoire.

C'est le rééquilibrage de ce compromis qui est au cœur de la réforme pour Emmanuel Macron : flexibiliser le temps et la rémunération de travail des moins qualifiés, moins solliciter dès lors la dépense publique correctrice de l'exclusion, ce fameux pognon de dingue, et alléger la barque fiscale des plus riches. Pour faire passer la pilule, Emmanuel Macron a focalisé son attention sur l'indemnisation des plus pauvres parmi les perdants de ses réformes : à travers la revalorisation programmée des minimas, des mesures de préservation du pouvoir d'achat pour les plus petits revenus (si l'on exclut l'erreur symbolique des APL) ou la couverture maladie universelle. Et dans le même temps, il a en partie dilué la charge de l'ajustement sur la masse des invisibles. Et pour cause, la majorité des économistes, promoteurs des réformes en début de mandat, validaient le constat, qui faisait quasi figure de slogan selon lequel, « au-dessus de 1,3 SMIC, il n'y a pas de problème ».

Une erreur d'économistes

C'était une erreur. Une erreur d'économistes ou de certains économistes. Car parmi les sociologues (à l'instar de Louis Chauvel par exemple),  ou des démographes (à l'instar d'Hervé Lebras), la conscience du caractère diffus du malaise social étaient bien plus avancée. Le constat du déclassement des classes moyennes, était lui-même de mieux en mieux étayé, même parmi les économistes, avec l'objectivation du processus  de polarisation post-industrielle de l'emploi, qui met en lumière la perte de vitesse des emplois de qualification intermédiaires.

La France a été gouvernée comme si elle constituait une exception, du fait de son modèle social correcteur. Une erreur, car son modèle social, s'il a limité le fossé entre les situations extrêmes de revenus, ne l'a pas immunisée contre le processus de déclassement des classes moyennes qui traverse l'ensemble des économies avancées. Ce qu'ont montré de récents travaux de l'OCDE.

Emmanuel Macron avait entièrement bâti sa politique autour de la figure du peu qualifié exclu du marché du travail et du riche condamné à l'exil. Entre ces situations extrêmes simplificatrices, le président de la complexité a vu se dresser la vraie complexité du tissu social français qui complique profondément la pédagogie et l'équation financière de ses réformes.

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