L'inflation est là, le pire, lui, est à venir

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu (*)  |   |  1044  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)
OPINION. L'inflation que les responsables économiques pensaient conjoncturelle s'installe durablement. Elle entraîne certaines conséquences négatives tant pour la production que pour la consommation. (*) Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'ESSEC.

A l'image de l'évolution du redoutable SARS-COV-2 vers le variant delta, une forme encore plus contagieuse et meurtrière, la crise économique déclenchée par la pandémie est, elle aussi, en train de muter vers une forme encore plus grave, celle du variant pénurie qui représente dans l'imaginaire occidental un des quatre cavaliers de l'Apocalypse.

La panique qui a saisi les consommateurs au début de la pandémie ainsi que les nombreuses mesures restrictives de distanciation sanitaire ont provoqué simultanément une forte baisse de la demande de biens et services et un renchérissement des coûts de production et des arrêts d'activité. Les gouvernements, encouragés par les organismes internationaux, ont uniformément adopté une réponse sous forme d'augmentation sans précédent des aides directes aux ménages et aux entreprises, accompagnée d'une forte augmentation des dépenses publiques. Ces dépenses ont été intégralement financées par l'endettement, lui-même pris en charge essentiellement par les banques centrales.

Quelques économistes, dont Laurence Summers, avaient mis en garde contre le risque d'inflation que cette relance pouvait engendrer. En août, le taux d'inflation était de 5,2% aux Etats-Unis et devrait être à 3,4% en septembre dans la zone euro (4,1% en Allemagne). Cette inflation dépasse de loin les prévisions d'inflation réalisées en début d'année, tant par les spécialistes que par le marché des titres indexés sur l'inflation. De surcroît, les anticipations d'inflation commencent à se détériorer, comme le révèle la hausse du rendement des obligations à 10 ans américaines et européennes.

Détérioration du pouvoir d'achat

Côté consommateur, la conséquence de l'inflation est la détérioration du pouvoir d'achat. Dans le contexte post-covid c'est du côté de l'offre que les conséquences de l'inflation sont les plus graves.

La hausse accélérée de certains prix signale que, pour certains marchés, les limites du système productif sont atteintes ce qui se traduit par des pénuries. Au-delà d'un seuil, quel que soit le prix, la production ne peut plus augmenter, du moins pas dans l'immédiat. En l'absence de composants électroniques, quel que soit le prix des voitures, les constructeurs ne peuvent pas les fournir. Les délais d'attente pour nombre de voitures neuves dépassent les six à neuf mois. De nombreux produits de grande consommation commencent à manquer, comme les vêtements et les chaussures d'entrée de gamme. Des magasins de bricolage ont communiqué sur de nombreuses ruptures de stocks. IKEA a annoncé qu'il y aurait 20% d'articles manquants.

En retour, l'inflation peut détériorer le potentiel productif d'une économie. La hausse du prix des facteurs de production comme les matières premières, l'énergie, les produits intermédiaires ou le travail pousse certaines entreprises à arrêter purement et simplement leur activité, notamment dans les secteurs les plus concurrentiels. En Angleterre, face à la hausse du prix du gaz, plusieurs producteurs de fertilisants ont décidé d'arrêter la production, ce qui a conduit à l'arrêt de la production de CO2 industriel, un produit dérivé. La pénurie de CO2 industriel perturbe à son tour les industries comme les abattoirs ou la production d'électricité par les centrales nucléaires. Le recours au CO2 d'importation est lui aussi rendu problématique par la pénurie de bateaux disponibles dans le transport maritime.

Les entreprises à la fois très endettées et à faible rendement, qu'on appelle communément entreprises « zombies », sont tout particulièrement exposées au risque financier de l'inflation. Même une petite hausse de l'inflation qui conduirait les banques à augmenter les coût du crédit pourrait être fatale à ces firmes. En 2012, les pays du Sud de l'Europe avaient été touchés par ce phénomène, et il n'est pas exclu que les mêmes mécanismes soient à l'œuvre dans le contexte actuel.

La pire des pénuries est la pénurie de main d'œuvre. Elle touche plus particulièrement le Royaume-Unis où le problème est accentué par le Brexit mais aussi les Etats-Unis et la zone euro. Si de nombreux emplois sont disponibles, la main d'œuvre manque, et la hausse des salaires, mise en place par les entreprises qui le peuvent, n'apporte pas de solution globale. La robotisation, longtemps décriée par les néomalthusiens comme une cause certaine de destruction d'emplois, apparait maintenant comme le seul moyen de maintenir la production face à une raréfaction de l'offre de travail. Amazon a été un pionnier de la robotisation de ses centres de distribution. Même certaines exploitations agricoles en viennent à remplacer les humains par des robots y compris pour faire les vendanges, mais cette substitution ne peut pas être généralisée à l'ensemble des industries.

Révision à la baisse de la croissance

L'ampleur des pénuries est telle que la forte croissance du début de l'année 2021 commence à s'atténuer, un peu partout dans le monde. L'OCDE a dû revoir à la baisse ses prévisions de croissance en 2021 pour les Etats-Unis, en dépit du gigantesque plan de relance mis en place. En Chine, les pénuries d'énergie ont contribué à faire passer le PMI manufacturier de septembre sous la barre des 50 (calculé par le Centre Chinois d'Informations Logistiques (CLIC)) qui représente la frontière entre expansion et récession.

Sans sombrer dans la peur, il est indispensable que les différents acteurs économiques prennent conscience que les pénuries vont non seulement durer mais aussi s'accentuer. Cela doit conduire les entreprises à envisager des substitutions lorsque cela est possible et à repenser leurs gammes de produits. Les consommateurs devront apprendre la patience. Le gouvernement français a bien sûr pris la décision populiste la plus à même de faciliter sa réélection et la moins avisée en termes économiques. En effet, il a choisi de débrancher le thermomètre et de figer les prix de l'énergie sans pour autant augmenter les stocks de gaz et de pétrole dans un contexte d'arrêt des centrales nucléaires. Espérons pour la venue de l'hiver que le gouvernement redevienne pragmatique et prennent les mesures de bon sens appropriées.