La Belgique a-t-elle les clefs de la défense européenne  ?

Par Bruno Alomar, Cédric Perrin  |   |  967  mots
La Belgique a besoin de moderniser sa flotte de combat aérien, et plusieurs options s'ouvrent à elle. Les critères sont multiples. Ils tiennent à l'appareil évidemment, qui doit remplir le contrat opérationnel de l'armée qui le commande, au coût, aux performances et à la fiabilité, si possible éprouvées au combat. Pour les industriels, américains, britanniques et français, les enjeux sont forts. (Crédits : DENIS BALIBOUSE)
La modernisation par la Belgique de son aviation de combat suscite depuis quelques mois bien des remous chez nos amis belges. Par Bruno Alomar, économiste (*), et Cédric Perrin, sénateur (LR) du Territoire de Belfort (*).

La Belgique, par sa position géographique, a une importance pour notre continent beaucoup plus grande que sa taille ne pourrait le laisser penser. Cette réalité bien connue de ceux qui connaissent l'histoire de l'Europe, notamment en ce qu'elle a de tragique, se rappelle à nouveau à nous au travers d'une question qui semble limitée mais qui est en réalité fondamentale : la modernisation par la Belgique de son aviation de combat. Au fil d'une réflexion et d'un processus de décision marqués par de nombreux soubresauts, cette question suscite depuis quelques mois et jusqu'à présent bien des remous chez nos amis belges.

Disons-le tout net : il s'agit d'abord et avant tout d'un choix souverain de la part de la Belgique, qui doit être respecté en tant que tel. Ceci, naturellement, n'épuise pas les luttes d'influences très fortes qui entourent un tel choix. En Belgique même, la classe politique est d'autant plus partagée que des évènements importants se profilent, qu'il s'agisse du sommet biannuel de l'Otan qui se tiendra en juillet à Bruxelles, ou des élections de l'automne 2018. L'Amérique, revendique avec véhémence le « Buy America » de la part de ses partenaires de l'Alliance atlantique. Pour les industriels, américains, britanniques et français, les enjeux sont forts. Ce cadre étant fixé, qu'il soit permis de discerner les enjeux essentiels qui président au choix à venir de la Belgique.

Moderniser la flotte de combat aérien

Le premier enjeu est à l'évidence belge. La Belgique a besoin de moderniser sa flotte de combat aérien, et plusieurs options s'ouvrent à elle. Comme toujours en la matière, les critères sont multiples. Ils tiennent à l'appareil évidemment, qui doit remplir le contrat opérationnel de l'armée qui le commande, à un coût le plus réduit possible, et pour des performances et une fiabilité les meilleures possibles, si possible éprouvées au combat. Ils tiennent aussi aux retombées économiques sur la base industrielle technologique de défense, qui doivent être éprouvées, durables, et, osons-le dire compte tenu de la structure institutionnelle de la Belgique, justement réparties sur le territoire.

Envoyer un message clair en matière géostratégique

Le second enjeu, tient au rapport de la Belgique à ses partenaires stratégiques, et plus largement à son rapport au monde. Le choix auquel elle est confrontée, compte tenu du rapport structurant d'un programme d'aviation militaire qui déploiera ses effets sur plusieurs décennies, est un choix politique majeur. Par ce choix, la Belgique enverra un message clair sur ce qu'elle est, où elle se situe, et quel est le fil rouge de l'avenir qu'elle veut dessiner. Jusqu'à présent, en matière militaire et géostratégique, la Belgique est partagée, comme d'ailleurs certains de ses partenaires comme l'Allemagne, entre l'atlantisme qui se matérialise au travers de son appartenance à l'Otan, et le choix de la construction européenne. Une telle situation, chacun le comprend, est un entre-deux qui n'aura qu'un temps. Retenir une solution non européenne, quels qu'en soient par ailleurs les mérites réels et les justifications, ne pourrait être interprété autrement que comme une rétractation du projet européen. Il s'agirait d'un tournant majeur pour la Belgique, cœur battant des institutions européennes, et qui a toujours su jouer au sein de l'Union européenne un rôle beaucoup plus important que son économie ou sa population ne l'auraient initialement suggéré.

Relancer la politique de défense européenne

Le troisième enjeu, enfin, tient à l'évidence à la relance de la politique de défense européenne. A cet égard, la responsabilité de la Belgique, il ne faut pas craindre de le dire, est écrasante. Le choix belge engagera tous les européens, au moment où l'Europe de la défense, longtemps au point mort, bénéficie d'une conjonction des volontés inédite, et qu'un projet de système de combat aérien du futur (SCAF) est engagé. Beaucoup de pays européens, jusqu'à présent, en matière d'aviation de combat, pour des raisons qui leur appartiennent, ont préféré soutenir le programme américain JSF (F-35). L'Allemagne, pour ce qui concerne la modernisation de sa flotte aérienne, envoie des signaux contradictoires, signe que comme la Belgique, elle se sent écartelée entre son appartenance à l'Otan et son destin européen. Le choix de la Belgique intervient à un moment cardinal, Belgique dont il faut rappeler qu'elle a été le seul pays ayant participé au programme F16 américain à ne pas participer au financement des recherches sur le JSF américain.

C'est dire, en définitive, que la Belgique s'apprête à engager par sa décision rien moins que l'avenir de l'aviation de combat européenne, colonne vertébrale sans laquelle aucune politique de défense européenne n'est possible. L'enjeu est tel que l'on a peine à imaginer qu'une telle décision soit prise à la vite, sans se laisser le temps de bien peser toutes les options. A cet égard, en se gardant de toute ingérence, il faut constater qu'il n'est pas raisonnable, car c'est bien l'étrange position dans laquelle la Belgique semble s'être mise, de renoncer à une procédure pleinement ouverte, comme celle qui exclut aujourd'hui la proposition de la France. Le dire n'est pas faire du nationalisme : c'est faire œuvre de bon sens, sans préjuger des mérites des uns et des autres dont seuls nos amis belges décideront finalement.

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(*) LES AUTEURS

Bruno Alomar, économiste, auditeur à la 68e session « Politique de défense » de l'IHEDN.

Cédric Perrin, sénateur (LR) du Territoire de Belfort, 1er vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.