La Chine fait main basse sur le blé ukrainien dans l'indifférence européenne

Par Jean-Jacques Handali  |   |  515  mots
Blé chargé au terminal du port de Nikolaïev, ville portuaire et industrielle du sud de l'Ukraine. (Crédits : Reuters)
OPINION. Aux portes de l'Union européenne, Pékin est devenu le principal acheteur des très convoitées productions de céréales d'Ukraine. La souveraineté alimentaire européenne pourrait être menacée. Par Jean-Jacques Handali, directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil (Genève).

L'agriculture ukrainienne est l'un des seuls secteurs exportateurs du pays. On y cultive blé, orge, betterave et pomme de terre en grande quantité. Ces quatre céréales et plantes permettent à ce pays de se positionner parmi les premiers producteurs mondiaux (entre la 3e et la 8e place, respectivement, selon la culture concernée). À l'époque de l'empire soviétique, l'Ukraine était d'ailleurs connue pour être « le grenier à blé de l'Europe orientale ».

Cette constatation n'a sans doute pas échappé à la sagacité des hauts représentants céréaliers de la République Populaire de Chine (RPC). En 2020, l'Ukraine a ainsi exporté près de 7 millions de tonnes de céréales en direction de l'Empire du Milieu ; un chiffre en forte hausse par rapport à l'année précédente. Ces transactions représentent une enveloppe de près 1,9 milliard de dollars. Graduellement, la Chine est-elle en train de devenir le principal client agricole de l'Ukraine ? Mais l'Europe reste les bras ballants, et ne réagit pas.

La Chine perd des terres arables

L'offensive chinoise sur les terres agricoles du monde entier a débuté il y a de nombreuses années en Afrique, en Amérique latine, mais aussi et surtout en Australie : en 2017, des millions d'hectares y étaient rachetés par des hommes d'affaires chinois. Une technique bien rodé: pour passer sous le seuil des investissements nécessitant une autorisation du gouvernement de Canberra, les Chinois multiplient les achats de petite surface, qu'ils additionnent ensuite.

Des méthodes agressives dont l'Europe semblait pour l'instant préservée. C'était avant de voir l'Ukraine basculer dans le giron agricole chinois... au nez et à la barbe de Bruxelles.

Car pour Pékin, il y a urgence : entre 2009 et 2019, le total des terres arables chinoises a diminué de 6%. La faute à l'urbanisation rapide du pays, à ses activités industrielles et la pollution qu'elles engendrent.

Et il y a encore plus préoccupant : la Chine commence à toucher les limites de la surexploitation de ses terres, notamment pour la production de céréales. En juillet dernier, le gouvernement chinois s'alarmait sur les rendements des terres noires du nord-est du pays, grenier à blé historique de l'Empire du Milieu. Un tiers de la production céréalière chinoise provient de ces 18 millions d'hectares de terres arables étalées sur les trois provinces du Liaoning, du Heilongjiang et du Jilin.

Vassalisation économique

Réchauffement climatique et surexploitation auraient appauvri les sols et menacent désormais la fertilité des terres. En décembre 2020, le président Xi Jinping lui-même avait qualifié la situation agricole de cette région de « problème grave ».

Alors que la Chine est en train de perdre son grenier à blé, elle s'apprête à faire main basse sur celui de l'Europe. Bruxelles, Paris ou Berlin demeurent aux abonnés absents. Alors que les Occidentaux avaient su se montrer intraitables à l'égard des Russes et de leur influence en Ukraine, ils sont étrangement passifs quand il s'agit d'une vassalisation économique sous pavillon chinois. La menace que cela fait peser sur notre souveraineté alimentaire est pourtant beaucoup plus grave.