La France désindustrialisée et nue face au virus, comment y remédier  ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1292  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)
ANALYSE. Le manque de matériel pour lutter contre la pandémie du Coronavirus a mis à jour notre dépendance à l'égard d'autres pays et a relancé le débat sur la désindustrialisation de la France. Mais pour faire face à un tel défi, il est nécessaire de réunir un certain nombre de conditions. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'Essec.

De même que la crise des dettes souveraines en 2010 avait révélé des défauts de conception de la monnaie unique, la crise sanitaire du Coronavirus révèle à son tour les forces et faiblesses des structures industrielles des différents pays de la Zone euro.

S'il est inquiétant que les pays du Sud de l'Europe apparaissent comme peu préparés à affronter une crise sanitaire d'une telle ampleur, il est encore plus perturbant de découvrir que ces pays n'ont pas non plus les capacités industrielles de répondre en urgence à la forte hausse de la demande nationale liée à la pandémie, que cela soit des biens simples comme les masques en tissu, les coton-tige, les blouses de protection, l'oxygène médicale, les réactifs pour les tests ou des biens plus sophistiqués comme les respirateurs utilisés en réanimation.

Un flux de nos industries vers l'Asie

Depuis des décennies, on observe un flux continu et inexorable de fuite vers l'Asie, notamment en Chine, de nos industries. Cette désindustrialisation s'est bien sûr accompagnée de destruction d'emplois et de savoir-faire importants. En France, la contribution de l'industrie manufacturière à la valeur ajoutée totale, est passée de 23,7% en 1980, à 21,1% en 1990, pour chuter à 14% en 2017 (données INSEE). Dans le contexte actuel, les médias mettent en exergue l'histoire de Spéria, cette petite entreprise française productrice de masques respiratoires, passée en 2010 sous le contrôle de l'américain Honeywell, qui l'a finalement fermé en 2018, suite à la suppression des dernières commandes publiques.

Après avoir moqué Donald Trump pour son obsession de ralentir et inverser la dépendance industrielle forte des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine (le pays tirant le plus parti de la mondialisation et le moins respectueux du libre-échange), les dirigeants français, notamment le Président de la République, s'empressent maintenant de mettre « le marché » en accusation de leur incurie budgétaire. Mais qu'est-ce-que « le marché » a à voir avec les coupes budgétaires dans la santé, la passation de commandes publiques au moins-disant asiatique et le mépris vis-à-vis des risques pandémiques que l'on sait maintenant avoir été bien documentés depuis les crises SARS et Ebola ? Toute honte bue, le gouvernement dénonce maintenant les dangers de la délocalisation. En visite dans la principale usine française survivante de production de masques sanitaires à Angers le 31 Mars, Emmanuel Macron s'est engagé vers l'indépendance « pleine et entière » en production de masques (c'est-à-dire au retour à la situation de 2012, la période 2012-2020 ayant été, comme chacun, sait une période de libéralisation sauvage en France).

Certains économistes reconnus dans leur domaine suggèrent la mise en œuvre d'une politique agressive de réindustrialisation, comme l'avait rêvée le ministre Arnaud Montebourg en son temps. Ainsi, l'Etat définirait ce qui est « stratégique » et les entreprises concernées, sous contrôle public, pourraient produire à profusion des masques et autres biens identifiés comme stratégiques pour parer les crises à venir. La faiblesse de cette approche réside sur la capacité du planificateur à anticiper la nature (incident nucléaire, catastrophe naturelle, pandémie, crise financière ... ) et la survenue des crises à venir. A notre connaissance, l'être ou l'intelligence artificielle suprême capable de prédire la prochaine crise n'existe pas.

Le planisme se vit dans le contrôle et le dirigisme. Cela pourrait être une forme d'organisation dans un monde prévisible dans lequel ne survient pas de crise inattendue et face à laquelle il ne faut pas mettre en œuvre avec souplesse, rapidité et efficacité des solutions nouvelles. La vision planiste est que la prochaine crise sera la même que la précédente et en conséquence il faut planifier la production nationale et l'entreposage des armes qui ont été utilisées dans cette crise passée.

Le futur danger est par nature inconnu

La solution est bien évidemment ailleurs puisque le futur danger est par nature inconnu. L'urgence est donc la construction d'une structure économique flexible à même de répondre en urgence aux défis, quels qu'ils soient. Or cela n'implique pas plus mais moins de planification et davantage de flexibilité et non l'inverse.

Si disposer d'un appareil industriel efficace et flexible est la marque d'un pays fort, il semble que les pays du nord de l'Europe soient largement mieux lotis que les pays du sud bien que la mondialisation ait frappé tous les pays européens. Si on examine les caractéristiques d'organisation politique de l'Allemagne, de la Suisse ou de l'Autriche, un premier élément immédiatement marquant est que ces pays sont bien moins centralisés que la France. Si on examine maintenant leur organisation économique, ils fonctionnent avec un marché du travail flexible, contrairement aux multiples rigidités qui criblent les marchés du travail français, italien ou espagnol. On peut évoquer comme caractéristiques des pays du sud, un poids disproportionné des syndicats au regard de leur représentativité réelle, des seuils sociaux provoquant une moindre proportion d'entreprises de taille moyenne, un salaire minimum uniforme pour tous les âges et toutes les industries empêchant l'emploi des jeunes et non-qualifiés, une dichotomie CDI/CDD pénalisante générant une frilosité à l'embauche, et un recours excessif à des contrats courts pour mieux exploiter le système d'indemnités de chômage.

La France porte en plus la croix des 35 heures depuis 2001, usine à gaz basée sur une vision simpliste du travail, que les dirigeants successifs n'ont jamais osé abolir. Ces caractéristiques bien connues ainsi que la complexité pesante du droit du travail ont généré une dégradation continue de la compétitivité des firmes françaises, qui se retrouve dans le déficit chronique de sa balance commerciale. Pour les firmes vendant des biens similaires à ceux offerts par la concurrence internationale, le seul choix possible a été la délocalisation ou la disparition. Les firmes non-concurrencées par les importations, notamment les services, ont pu mieux s'accommoder de ces rigidités et de leur manque de compétitivité-prix.

L'anéantissement d'un grand nombre de TPE en France

Ainsi, petit à petit, nous avons assisté impuissants à l'anéantissement d'un grand nombre de TPE en France et à l'essor du Mittelstand en Allemagne, cette frange industrielle de « grandes » TPE orientées vers l'international et qui pèsent 45% du PIB outre-Rhin.

Nicolas Sarkozy avait souhaité suivre l'exemple allemand en matière de fiscalité et basculer sur la consommation une partie des charges sociales pesant sur le travail pour améliorer la compétitivité tout en maintenant stables les recettes de l'Etat. La TVA touchant les produits de toutes les entreprises, françaises ou étrangères, cette politique fiscale aurait permis de supprimer une partie de l'écart de compétitivité avec l'étranger. A son arrivée, François Hollande a supprimé ce projet et mis en place une réduction d'impôts proportionnelle à la masse salariale totale, une incitation claire à la hausse des salaires. Si Emmanuel Macron a fini par découpler le cadeau fiscal de la masse salariale, aucune hausse de la TVA n'a été envisagée.

Construire une base industrielle solide et flexible en France est possible puisque nos voisins l'ont fait. Apprenons de l'Allemagne ce qui profiterait à la France, modernisons notre marché du travail, supprimons ces seuils sociaux mortifères, allégeons le poids de la paperasserie et des tracasseries administratives de façon à permettre à nos entrepreneurs et nos start-up d'exprimer le génie français. Il est grand temps que les gouvernements successifs cessent de se prosterner devant les bénéficiaires d'acquis sociaux d'un autre temps et pensent au bien commun.