La France ne profite pas de sa dynamique innovatrice

Il existe un vrai soutien à la recherche en France, des réseaux aidant à détenir les clés technologiques de la transformation numérique. Mais c'est le financement qui pèche: à part quelques exemples médiatisés, les startups peinent à trouver des financeurs, et leurs créateurs s'exilent. par Marie-Noëlle Séméria, Présidente de l'Association des instituts Carnot et directrice du CEA-Leti.
Marie-Noëlle Séméria.

L'accélération de l'innovation dans les services et les bouleversements spectaculaires, tant économiques que sociétaux, qu'engendre cette fameuse « transformation numérique » nous ferait presque oublier qu'elle n'est que la résultante d'une autre forme d'innovation, moins visible et moins médiatique : l'innovation scientifique et technologique. Pas d'Uber, d'Airbnb ou de Google sans infrastructures numériques, sans smartphones et sans microprocesseurs. Si l'économie de demain semble vouloir s'établir sur de nouveaux paradigmes comme « l'utilité », ainsi que l'avait anticipé Jean-Baptiste Say dès le début de l'ère industrielle, et « le partage », il n'en demeure pas moins que cette transformation procède de découvertes qui n'ont rien de concepts abstraits.

Une longue tradition d'excellence

La France, qui bénéficie d'une longue tradition d'excellence dans les domaines de la recherche scientifique et technologique et à la mesure de sa prise de conscience des enjeux de l'innovation dans une compétition mondialisée, a su mettre en place de puissants dispositifs de soutien à la recherche qui ont non seulement renforcé son attractivité mais aussi généré un dynamisme entrepreneurial sans précédent. En effet, nous avons une grande chance d'avoir dans notre pays des jeunes de plus en plus attirés par la création d'entreprises, à l'aise dans une Europe rompue aux alliances et aux projets collaboratifs.
A ce jour, 10% des écoles ont mis en place des filières complètes d'accompagnement à la création d'entreprises et, en 10 ans, le nombre de créations par les jeunes a quasiment triplé pour atteindre 125.000 en 2014 (1) .

Détenir les clés technologiques de la transformation numérique

Dans tous les pays qui misent sur l'innovation pour soutenir leur croissance économique, qu'il s'agisse de monter en gamme ou de se positionner sur de nouveaux marchés, la maîtrise des nouvelles technologies est devenue un enjeu crucial.

C'est ainsi qu'ont été créés aux Etats-Unis, dès le début des années 2000 et à l'initiative de la Maison Blanche, les « Institutes for Manufacturing Innovation (2) » afin de faciliter la maîtrise par les industriels américains des procédés et technologies de demain : fabrication additive et digitale, design, métaux légers, électronique de puissance, composites, électronique flexible... Mêmes enjeux et mêmes initiatives à Singapour avec le réseau ASTAR (3) ou en Allemagne avec le réseau des Fraunhofer (4). Et pour une fois, la France n'est pas en reste avec le réseau de ses 34 instituts Carnot (5), structures de recherche publique positionnées sur les technologies clés pour renforcer l'innovation dans le tissu industriel. Un dispositif qui fêtera ses dix ans cette année et qui s'est imposé comme le fer de lance de l'innovation dans notre pays.

La recherche partenariale au cœur de la dynamique d'innovation

Pour Claude Levi-Strauss (6), « tout progrès culturel est fonction d'une coalition entre les cultures ». Si l'on transpose cette idée à l'innovation scientifique et technologique, on comprend alors mieux son actuelle accélération exponentielle. En effet, le développement des transports puis la généralisation des télécommunications ont de toute évidence littéralement dopé les effets de ce que l'on appelle aujourd'hui la « cross-fertilisation », c'est-à-dire la conjugaison des cultures, des idées et des innovations dont les clusters sont l'exemple le plus probant.

C'est aussi dans cet esprit que s'est développé depuis 10 ans le réseau des instituts Carnot, un dispositif de recherche partenariale qui permet à des entreprises de toutes tailles, de la startup au grand groupe, non seulement de bénéficier de l'accompagnement des laboratoires publics de recherche au meilleur niveau international dans leurs innovations, mais encore d'être en capacité à dresser des barrières technologiques associées à une solide politique de propriété intellectuelle.
Et les résultats sont au rendez-vous avec la création de 65 startup par an, 455 millions d'euros de contrats de R&D financés par le privé et plus de 1.000 brevets déposés chaque année.

En finir avec le maillon faible du financement

Si nos dispositifs de soutien à la recherche sont parmi les meilleurs du monde, le maillon faible de la chaîne de l'innovation reste, toujours et encore, le financement et en particulier le « 3e tour de table », quand il s'agit de trouver des investisseurs capables d'accompagner les startups dans leur croissance et l'industrialisation de leurs innovations. Car, en effet, et en dépit de quelques levées de fonds très médiatisées, cette situation conduit à la faillite des moins combatives de ces jeunes entreprises et, pire encore, à l'expatriation des plus performantes.

Une double peine pour la France qui non seulement voit ses fleurons technologiques partir à l'étranger, mais encore ses modèles menacés par des entreprises qu'elle a elle-même nourri. Une sorte de dévoiement de la théorie de Schumpeter : « la destruction chez nous et la création chez d'autres » !

A contrario, et alors que les startups françaises peinent à lever quelques millions d'euros, c'est par dizaines et souvent par centaines de millions de dollars que les Américains investissent dans leurs startups. C'est pourquoi, il est devenu nécessaire et urgent d'adosser nos dispositifs de soutien à une vraie politique d'investissement dans l'innovation, tant au niveau de la recherche technologique qu'à celui des entreprises, avec une ambition de transformation du patrimoine de recherche en produits et services, seule véritable source de création de valeur pour notre société.

Marie-Noëlle SÉMÉRIA
Présidente de l'Association des instituts Carnot et directrice du CEA-Leti

(1) Baromètre 2015 du Mouvement pour les jeunes et les étudiants entrepreneurs (Moovjee)
(2) https://manufacturing.gov/nnmi.html
(3) https://www.a-star.edu.sg/
(4) https://www.fraunhofer.de/en.html
(5) https://www.instituts-carnot.eu/
(6) « Race et histoire, race et culture », Albin Michel - Editons Unesco




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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2015 à 15:34
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Quand on fait la guerre à la finance, aux riches, aux patrons, on récolte ça. L'idéologie socialiste est idéologie de pauvreté et d'injustices sous couvert d'égalitarisme. Les meilleurs iront chercher ce "sale fric" hors des frontières et y resteront...

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