La France peut devenir la "Blockchain Nation" et gagner 5 milliards d'euros

Par Kim Dauthel et Pierre Paperon  |   |  1337  mots
Le grand bal des nations est en train d'accélérer la cadence. Et sur un terrain plutôt inhabituel, grâce à la technologie Blockchain qui s'invite dans la danse. Par Kim Dauthel et Pierre Paperon, fondateurs de Solid, société de conseil en technologies Blockchain

L'innovation digitale récente Blockchain de chiffrement et de certification des transactions permet de créer des monnaies virtuelles, en plus de tous ses champs d'application déjà effectifs : l'enregistrement - infalsifiable - du cadastre, pour empêcher les spoliations agricoles au Honduras et Gabon, la traçabilité des médicaments pour éviter la contrefaçon et sauver 700.000 vies par an selon des chiffres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la vente d'énergie électrique de pair-à-pair pour les producteurs individuels équipés de panneaux photovoltaïques, comme les 70.000 utilisateurs au Kenya, la digitalisation et la sécurisation de tous les dossiers médicaux comme en Suède et en Norvège, la réalisation de testaments inviolables sans passer par un tiers de confiance comme le notaire, etc.

C'est la banque centrale de Singapour, la MAS, qui vient d'accentuer la dimension géostratégique de cette technologie avec l'annonce du lancement prochain d'une nouvelle monnaie, plus précisément une cryptomonnaie : le dollar digital de Singapour. Ce mouvement fait suite à des annonces récentes de la Russie ainsi que de la Chine, laquelle a même inscrit la technologie Blockchain dans son plan quinquennal en octobre dernier. L'enjeu est de taille pour ces pays, car tous ont perçu la capacité mutante de la technologie au travers de l'émergence, en 2009, du Bitcoin, premier écu de cette grande « e-lignée » qui a enfanté depuis pas moins de 900 monnaies alternatives : Litecoin, Dash, Ripple, etc.

Pour autant, l'avis n'est pas unanime : la Banque centrale du Canada a annoncé le 29 mai dernier qu'il était trop tôt pour utiliser la Blockchain, malgré le vif intérêt du jeune Premier ministre, Justin Trudeau. La Banque du Japon, elle, a pris la position exactement inverse en officialisant le Bitcoin comme monnaie légale, le 1er avril dernier.

Retour sur les années héroïques

Le rappel d'une page historique nous permet de mieux appréhender la dynamique en cours. Nous sommes en septembre 2008, la bulle des subprimes immobilières américaines explose, la banque Lehmann Brothers s'effondre et entraîne par effet systémique tout le secteur financier de la planète. La France est touchée, elle aussi. Le think tank français libéral Ifrap chiffre à 212 milliards le coût pour nos comptes nationaux. Un dénommé Satoshi Nakamoto, pseudonyme d'une ou plusieurs personnes, réagit au danger de cette centralisation bancaire excessive en inventant une nouvelle monnaie, le Bitcoin. Il est basé sur des équations mathématiques, l'utilisation de technologies robustes de chiffrement, la duplication de la base de données sur des milliers d'ordinateurs dans le monde et un mode de certification répartie entre tous ces ordinateurs. Et sur un anonymat, relatif, pour les utilisateurs ou acheteurs de Bitcoin que l'on appelle « pseudo-anonymisation ».

« Pseudo », car des logiciels d'intelligence artificielle et de big data permettent de lever une grande partie de l'anonymat. Après des débuts hésitants en 2009, une phase plus active a commencé en 2012, mais avec des hauts et des bas liés à des utilisations répréhensibles, pour ne pas dire totalement hors-la-loi, permises par l'anonymat des transactions : blanchiment, trafic de drogue et d'armes, achat et vente de virus, financement de cyberattaques, etc.

En 2015 apparaît une nouvelle version de cette technologie : Ethereum (et sa monnaie, l'Éther) qui permet d'adjoindre des conditions d'exécution automatique à la transaction, du type « le paiement n'est effectué que si le colis a été reçu et la signature apposée sur le reçu ». De simple outil bancaire, la Blockchain est devenue un outil de transfert de propriété et de valeur qui s'est étendu à tous les secteurs de l'économie. Et la valorisation du Bitcoin, tout comme les 900 autres monnaies virtuelles créées, a explosé : leur capitalisation monétaire est passée de 3 milliards de dollars au début 2016 à 60 milliards de dollars il y a une semaine malgré une forte volatilité. Concrètement, une personne qui aurait acheté pour 10.000 euros d'Éther il y un an et demi aurait aujourd'hui une fortune potentielle de 3 millions d'euros. Mais avec un problème énorme pour ce nouveau rentier : l'impossibilité de déclarer cette plus-value et donc une certaine difficulté à utiliser cette somme qui ne fait que... croître.

Une "flat tax" qui peut rapporter quelques milliards d'euros

Pourtant une solution existe, et la France pourrait être pionnière dans sa mise en œuvre : rendre à nouveau visible cet argent en le déclarant sur un compte français, par l'institution d'une taxe de 20% sur les plus-values réalisées. Les avantages pour la France, particulièrement dans cette période de changement de cap voulu par le nouveau président de la République, sont multiples, sans compter l'impact économique durable et la trace historique laissée.

En premier lieu, si la moitié des 60 milliards de dollars de la nouvelle capitalisation monétaire des cryptomonnaies comme le Bitcoin, soit 30 milliards, vient se domicilier en France, ce sont presque 6 milliards d'euros d'impôts, dus à cette taxe de 20%, qui entrent dans les caisses de l'État. D'autre part, l'arrivée potentielle, probablement moins rapide, dans l'économie, des 24 milliards restants est plus qu'attrayante. Après quoi, une partie des 6 milliards (par exemple 100 millions d'euros) pourrait être utilisée pour stimuler en France cette technologie performante pour ses applications économiques, sociétales, militaires, sécuritaires, etc. Son développement en est aujourd'hui encore au stade de l'Internet en 1993 : remplacement d'Arpanet, création de l'InterNIC... L'année suivante, en 1994, c'est Amazon qui s'impose. Netscape aussi, en remplacement de Mosaïc. Aujourd'hui, comme à cette période charnière qui a vu la naissance de nouveaux standards mondiaux, la France a une chance à saisir pour éviter de prendre les places arrière dans le bus. Une technologie blockchain de nouvelle génération, comme «Tangle», offre par exemple des possibilités insoupçonnées, tant en termes de sécurité, d'extension à des milliards d'objets connectés, qu'à un nombre quasi illimité de transactions par seconde.

Au-delà des dimensions technologiques

Naturellement, c'est tout un champ de réflexions éthiques et légales qui sont à mener sur les nouvelles organisations et les besoins d'adaptation des lois actuelles. Comme au début de l'Internet. La question des souverainetés, centrale, se posera elle aussi à nouveau. Le parallèle avec « l'Esprit des lois » de Montesquieu, où chacun a un rôle actif dans la démocratie, est tentant. Car en « blockchainant », autrement dit en faisant des contrats automatisés, chacun devient maître de sa production et de sa destination. Notamment pour favoriser la solidarité : si je produis un kWh « blockchainé » ou si je prête une voiture, je peux décider d'en faire profiter mes voisins en précarité énergétique, comme 12 millions de Français selon les derniers chiffres de l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), ou comme 14,3% de Français sous le seuil de pauvreté, selon l'Insee.

Enfin, et ce n'est pas le moindre impact avec la volonté affichée du gouvernement de garder et faire venir des talents en France, cette « Blockchain Nation » apportera son lot de retombées économiques et d'attractivité pour des experts du monde entier. Les 100 millions d'euros issus de la taxe permettraient de préserver un peu de souveraineté nationale et de nous prémunir contre la domination de la Chine, qui a assuré 62% de la production du Bitcoin au cours des trois derniers mois. L'empire du Milieu, qui avait réalisé un hold-up sur 97% des « terres rares », un groupe de métaux stratégiques, il y a une quinzaine d'années, est en train de répéter le même scénario sous nos yeux.

« Blockchain Nation », cela peut être, aujourd'hui, le visage d'une nouvelle France, clairvoyante et audacieuse, à la tête de l'orchestre, et non plus à jouer dans la fosse. Maestro des blockchains, mais aussi de toutes ces nouvelles technologies que sont les intelligences artificielles ou encore l'Internet des objets. Pour changer enfin les règles du bal des nations.