La France peut-elle ignorer l'impact de la sortie du nucléaire en Belgique ?

Par Marc Deffrennes et Samuele Furfari  |   |  696  mots
Vue générale de la centrale nucléaire de Tihange en Belgique, exploitée par Electrabel, filiale du groupe français Engie. Le gouvernement belge a acté en principe la fermeture des centrales nucléaires en 2025. (Crédits : Reuters)
OPINION. La sortie programmée du nucléaire en Belgique va avoir des conséquences pour la politique nucléaire de la France à l'échelle européenne. Il est nécessaire que les autorités françaises dialoguent avec Engie, entreprise française qui gère le parc nucléaire belge et a engagé son démantèlement en l'absence d'une ferme prise de position du gouvernement belge. Par Marc Deffrennes, analyste nucléaire pour l'OCDE, membre de Wecare, et Samuele Furfari, Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels. Tous les deux sont d'anciens fonctionnaires européens.

En 1999, en Belgique, le parti Écolo (équivalent de Europe Écologie-Les Verts) a monnayé sa participation (largement minoritaire) au gouvernement en exigeant une loi de sortie et abandon définitif du nucléaire. Celle-ci fut votée en 2003 avec une échéance de sortie après 40 ans de fonctionnement, soit à la date ultime de 2025 pour la dernière tranche mise en exploitation. Depuis, cette loi n'a pas été modifiée, quelles qu'aient été les coalitions au pouvoir.

Une clause sur l'extension de vie de deux tranches

Après les élections de juin 2019, les très longues négociations politiques aboutirent à la mise en place, en octobre 2020, d'une coalition incluant à nouveau les Verts (Ecolo et Groen). L'accord de gouvernement confirme la sortie totale du nucléaire pour 2025, avec cependant une clause permettant l'extension de vie de deux tranches, s'il y a un risque d'approvisionnement électrique ou un impact trop important sur les prix de l'électricité.

En décembre 2020, Engie, le groupe industriel français qui est l'exploitant des centrales nucléaires belges (7 tranches 6 GWe), a informé le gouvernement belge que le temps était venu soit de confirmer la sortie totale du nucléaire, soit de décider de prolonger au-delà de 40 ans l'exploitation des deux réacteurs les plus récents. Sans réponse du gouvernement, Engie a alors informé celui-ci que l'entreprise mettait tout en place pour une sortie totale en 2025, en commençant notamment par réorienter les équipes travaillant sur l'extension de vie vers les programmes de démantèlement.

Aujourd'hui, en décembre 2021, le gouvernement belge reste divisé sur la question et n'a pas encore adopté une décision finale quant à l'avenir du nucléaire en Belgique.

C'est le moment qu'Engie a choisi pour informer le gouvernement et la presse, que, pour lui, le temps est passé et que la sortie totale du nucléaire est devenue inéluctable, autrement dit que 3 à 4 ans ne sont plus suffisants pour faire aboutir la procédure d'extension de vie de deux tranches au-delà de 2025.

Engie étant un groupe français, nous en appelons aux plus hautes autorités de la France à engager un dialogue avec « son entreprise » sur cette question. On peut légitimement se demander ce que la France a à faire dans ce dossier, d'autant que d'après les Traités Européens, chaque État membre est libre du choix de son mix énergétique.

Sans doute, mais le dossier du marché de l'électricité et le dossier nucléaire sont de dimension européenne. Comme on l'a bien vu à de multiples reprises dans le passé, une décision prise dans un État membre influence ce qui se passe dans les autres, en particulier chez les voisins directs.

Le risque d'isolement de la France

Une sortie totale du nucléaire en Belgique aura incontestablement un impact sur le fonctionnement du marché de l'électricité en France. Une sortie totale du nucléaire en Belgique renforcera aussi l'isolement de la France, qui se retrouvera entourée de pays antinucléaires déclarés ou très proches de l'être (Belgique, Allemagne, Italie, Espagne).

Pour avoir travaillé à la Direction générale de l'Energie de la Commission européenne, nous avons observé l'impact très négatif des positions anti-nucléaire de certains Etats membres de l'Union sur la politique énergétique de l'Union européenne, dont le dernier acte en date est la Taxonomie Financement Durable. Même si la France réussit à ce que l'énergie nucléaire ne soit plus ostracisée par les institutions européennes, si la Belgique suit l'Allemagne, les opposants à cette énergie pourront plus facilement discréditer la politique et le savoir-faire nucléaire français. Il sera aisé pour eux de répéter à l'envi que l'entreprise française Engie abandonne le nucléaire.

Il nous parait dès lors que ceci mérite une réflexion au niveau des autorités françaises et un dialogue avec Engie et peut-être aussi au niveau diplomatique, afin d'aller au-delà de l'intérêt purement économique d'un groupe industriel privé et de prendre en compte l'intérêt stratégique de la France dans ce dossier.

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(*) Site de Wecare