La gamification ou comment le jeu peut changer le travail en entreprise

Par Charles Cuvelliez  |   |  1102  mots
Charles Cuvelliez. (Crédits : DR)
Pourquoi faire des jeux en entreprise ? Qu'apporte la gamification? Par rapport à la motivation intrinsèque, parfois faible, à venir travailler, elle peut donner une motivation extrinsèque par une mise en contexte, un côté ludique de classement, de positionnement, d'estime de soi, d'altruisme, d'un rôle nouveau. Par Charles Cuvelliez, Université libre de Bruxelles, Ecole Polytechnique de Bruxelles.

Que serait Facebook sans les like ? Il n'existerait sans doute pas. Un nombre élevé de like sur nos posts, c'est une grande source de satisfaction et c'est parce que il s'agit d'un score, comme la grande majorité des jeux en proposent. Ce n'est pas un hasard. Lorsque nous nous inquiétons du nombre de vues de notre profil sur LinkedIn, qu'il a augmenté ou diminué par rapport au mois passé, quand LinkedIn toujours, nous rappelle que notre profil n'est complet qu'à 80 %, ce sont les mêmes mécanismes à l'œuvre.

Mécanismes subtils

Tous les jeux fonctionnent avec des scores, des niveaux, des classements, de la reconnaissance et encore bien d'autres mécanismes subtils qui nous y accrochent. Les jeux font appel à notre aspiration à progresser et à apprendre, à surpasser les autres ou soi-même, à interagir et à découvrir. Un jeu où il n'y a plus rien à apprendre est rapidement abandonné. Il nous donne la sensation de prendre des risques sans en prendre : à chaque succès, un peu de dopamine se libère, moins qu'en situation réelle. Le jeu nous apprend à nous comme aux animaux à appréhender la gestion du risque et la connaissance de nos limites dans la vie réelle. Corollaire des scores, les jeux pratiquent l'élimination, permettent de nous mesurer aux autres mais nous ne savourons ce sentiment de supériorité que si tout le monde a suivi les mêmes règles sans tricherie.

Nous n'adoptons pas tous le même profil devant un jeu et nous l'avons tous expérimenté. En effet, si nous sommes tous des joueurs, nous ne jouons pas pour les mêmes raisons. Le jeu est une réalité alternative. Notre attitude devant les jeux reflètera souvent notre attitude face à la réalité. Les profils des joueurs, codifiés par Richard Bartle, peuvent en dire long sur le profil du candidat que vous recrutez ou de l'équipe que vous voulez mettre en place. C'est la raison principale de l'arrivée massive des jeux, la gamification, dans le milieu professionnel.

Les profils

Dans un jeu, on peut côtoyer les tueurs, ceux qui veulent gagner à tout prix, soit en trichant, soit à la loyale. C'est le profil qu'on retrouve dans les équipes de ventes... et chez les CEO. Il y a les accomplisseurs : ce sont des joueurs naturels qui aiment gagner, relever des défis, suivre leur courbe de progression. C'est pour eux que les jeux prévoient des niveaux. Ils ne sont pas en concurrence avec les tueurs mais aiment leur présence comme référence de performance. Mieux qu'un classement, ils préfèrent une validation de leurs nouvelles compétences, via un badge, un diplôme, un certificat. Ils cherchent soit à obtenir un maximum de compétences, soit à devenir le meilleur dans leur discipline. Dans votre entreprise, ce sont des profils précieux qui garantissent l'expertise, la connaissance du métier et l'excellence de vos produits. Le socialiseur aimera le contact et la coopération entre joueurs. Il détestera les jeux solitaires. On a tous connu, dans les jeux de groupes, ce profil sympathique qui veut se rendre utile, qui nous motive, qui nous entraine. Il aime être un coach.

Excellents chefs de projet

De tels caractères se révèlent d'excellents chefs de projet et c'est à eux que s'adressent les méthodes agiles en entreprise : elles se basent, en effet, sur des interactions régulières des équipes qui doivent quotidiennement se réunir, réfléchir sans cesse sur le moyen de devenir plus efficace. Les socialiseurs y joueront un rôle de liant. Ils chercheront à faire partie de la guilde dans des jeux en réseaux tel que League of Legend.

Les explorateurs aiment la nouveauté dans le jeu, la découverte. Ils sont les premiers à tester un nouveau jeu. Ils se lassent des jeux répétitifs. Ce sont eux qui remettent en question les habitudes, les processus des organisations. Dans un projet, c'est celui qui se manifestera lorsqu'il y a un blocage, une panne d'idée. C'est pour eux qu'un jeu comme Minecraft a été conçu.

Comment concevoir un bon jeu

Un bon jeu doit satisfaire ces 4 profils. Tout jeu commence par une phase de découverte qui doit donner envie de revenir. Il n'est pas inhabituel que les premières parties amplifient les premiers résultats et vous donnent bien (un peu trop) vite des points et des niveaux. Après vient la phase d'apprentissage : il doit se faire au fil de l'eau; il ne vient plus à l'idée de personne d'imposer la lecture d'un manuel avant de de pouvoir jouer. La pédagogie a un rôle essentiel. Après c'est le temps de la maîtrise : le joueur, socialiseur, qui arrive à ce stade se met à aider les autres joueurs comme moyen d'obtenir la reconnaissance et l'estime de soi. Un jeu connaît une fin : le tueur se lasse car il a atteint son meilleur niveau et bat tout le monde. L'accomplisseur ne peut plus progresser de niveau, l'explorateur ne découvre plus rien et le socialiseur a aidé tout le monde. Il tourne en rond.

Motivation extrinsèque

Alors pourquoi faire des jeux en entreprise ? Qu'apporte la gamification? Par rapport à la motivation intrinsèque, parfois faible, à venir travailler, à avoir telle fonction dans l'entreprise, elle peut donner une motivation extrinsèque par une mise en contexte, un côté ludique de classement, de positionnement, d'estime de soi, d'altruisme, d'un rôle nouveau. C'est le même principe qui est à l'œuvre lorsqu'on décide de se mettre au jogging. La motivation intrinsèque, rester en forme, perdre du poids, s'y mettre en fait, est souvent faible mais les app mobiles qui mesurent votre performance y ajoutent cette composante ludique de vouloir évoluer, s'améliorer, se mesurer à soi-même, aux autres.

La gamification, ce n'est pas introduire une couche supplémentaire ludique sur ce qu'accomplissent vos collaborateurs au sein de l'entreprise, c'est mettre les ressorts qui nous font aimer les jeux dans de le suivi des tâches, la gestion de projet, la mesure des performances de vente, le développement des produits, l'accompagnement des nouveaux engagés. Mais attention, créer un jeu en entreprise, ce qui n'a jamais été aussi facile avec le déluge des outils digitaux à disposition, n'en est qu'à ses balbutiements et connait encore plein d'échecs. Un des défis majeurs du management en entreprise, c'est identifier et communiquer la progression d'un employé, ce qu'un jeu fait facilement pour les joueurs.

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Pour en savoir plus :

Managers faites vos jeux, Dominique Mangiatordi, Royal app Force, 2016