La macronisation de la vie politique a commencé

Par Arno Pons  |   |  837  mots
Emmanuel Macron agit telle une start-up qui voit les leaders d'un secteur ne pas réagir à une demande par manque d'agilité et de prise directe avec le marché. Par Arno Pons, directeur général de l'agence 5eme Gauche, enseignant à SciencesPo.

La numérisation est soit maitrisée soit subie. Dans le premier cas on peut parler de transformation heureuse, dans le second d'ubérisation malheureuse. La politique n'échappe pas à cette règle.

Le problème c'est que le seul métier qui n'a pas peur d'être uberisé, c'est précisément celui qui décide pour nous, à savoir les politiques. Et Macron l'a très bien compris, c'est peut-être même le seul. Telle une start-up qui voit les leaders d'un secteur ne pas réagir à une demande par manque d'agilité et de prise directe avec le marché, le jeune Ministre de l'économie a décidé aujourd'hui avec son mouvement « En marche ! » de répondre à un manque. Le choix du nom n'est pas anodin, il souligne l'immobilisme des partis politiques classiques, leurs incapacités à se mettre en mouvement avec la société.

Les dirigeants actuels dans la position des taxis

Il est probablement parti du constat que les hommes et les femmes qui nous dirigent sont exactement dans la même position que les taxis. Cette profession qui avait fait la guerre aux motos-taxis, comme nos politiques qui se concentrent sur leur combat avec le FN, et qui du coup n'ont pas vu venir leur ubérisation. Les moto-taxis étaient une alerte, les consommateurs les moins fidèles aux taxis ont déserté pour la première offre concurrente qui se présentait à eux car ils n'étaient pas satisfaits de la qualité du service proposé.

Au lieu de réfléchir aux causes, les taxis ont choisi de se mobiliser sur la défense de leur situation de monopole. Sourds aux alertes, ils n'ont pas compris que le problème n'était pas cette concurrence illégitime, mais leur mauvaise image. Celle d'un corps de métier qui ne se remet pas en question, qui n'a pas su se réinventer en s'adaptant aux évolutions de sa clientèle. Les politiques sont au même stade, ils sont vent debout contre le FN, sans pour autant réfléchir aux causes profondes de ce désamour. Ils feraient mieux aussi de se méfier de la désintermédiation de leur profession, car la montée des extrêmes ne pourrait être qu'une alerte.

 Potentiellement le candidat anti-système.

Et l'annonce de Macron confirme ce scenario. Il profite de la déconnexion des élites pour se payer le luxe, bien qu'il soit du sérail, de devenir potentiellement le candidat anti-système. La prochaine étape est à n'en pas douter la création d'une plateforme numérique qui sera le socle d'une campagne disruptive en prise directe avec les citoyens, en dehors de tout parti.

Il pourra ensuite faire la première campagne financée en « crowdfunding », ce qui serait paradoxalement très en phase avec l'esprit du Général de Gaulle qui parlait d'une rencontre entre un homme et le peuple, ce qui implique sans intermédiaire...

 Actualiser la stratégie d'Obama 2008

En quelque sorte il actualise la stratégie d'Obama 2008 qui avait réussi à travers une campagne très digitale à créer un lien direct et à court-circuiter la campagne « establishment » d'Hilary Clinton. Celui qui avait été Community Organizer dans les années 80 (avant d'être sénateur de l'Illinois) avait compris avant tout le monde qu'il pouvait s'appuyer sur les communautés et qu'en les connectant il deviendrait le candidat le plus populaire. A l'heure où le gouvernement vacille face à des pétitions en ligne et où des mouvements politiques type Podemos et Syriza émergent, Macron fait donc le pari que les français ont soif de démocratie directe.

 Un Trump en France?

Et nous ne pouvons que souhaiter un tel scenario car sinon ce sera davantage de populisme. La montée simultanée du populisme et du phénomène du « crowd » est logique car elle a la même racine : le manque de représentation du peuple et son mépris par les élites.

Donc si nous n'avons pas un candidat à la Obama, nous aurons alors celle d'un Trump. Donald Trump puise sa popularité dans le fait qu'il est « anti-Washington » et qu'il finance lui-même sa campagne des primaires. Il établit ainsi un lien direct avec les américains qui voient en lui, bien qu'il soit milliardaire, un citoyen plus représentatif que les autres par le simple fait qu'il ne provienne pas du système politique. Et nous savons très bien qui chez nous incarne cette candidature anti-establishment !

 Donc nos chers politiques qui proclament vouloir faire baisser le FN dans les sondages devraient se réjouir de cette nouvelle donne. A moins que finalement la situation actuelle les rassure puisque le jeu des deux  tours aux présidentielles leur garantit un pouvoir alterné.

Ce n'est peut-être pas un hasard si une semaine avant l'annonce de Macron le Parlement vote en catimini un durcissement des conditions d'accès à la candidature à la présidentielle...

 Arno Pons, directeur général de l'agence 5eme Gauche, enseignant à SciencesPo.