La menace d'action au pénal, nouvelle arme de négociation en droit du travail  ?

Par David Guillouet et François Hubert  |   |  827  mots
(Crédits : Eric Gaillard)
OPINION. Même si le taux de condamnation par les juridictions répressives reste particulièrement faible, menacer son employeur d'une action pénale tend malheureusement à se banaliser en droit du travail depuis plusieurs années et singulièrement depuis l'entrée en vigueur du barème « Macron ». Par David Guillouet et François Hubert, avocats associés au cabinet Voltaire

Si le recours à l'action pénale est parfois évidemment légitime - il participe de la liberté fondamentale constitutionnellement garantie d'agir en justice - il ne doit pas dégénérer en abus surtout quand il devient une vulgaire tentative d'intimidation pour obtenir un chèque...

En effet, que penser de ces collaborateurs qui se découvrent soudainement harcelés, discriminés ou gardiens de l'éthique des affaires à l'occasion d'une tentative de négociation de départ ? Quand il ne s'agit pas purement et simplement d'une tentative de chantage (en clair : donnez-moi ce que je veux ou je révèlerai des choses pas reluisantes sur l'entreprise) ?

Pour couronner le tout, il n'est pas rare de voir surgir dans des négociations de départ des projets de plainte transmise à titre de projet afin de nourrir la « réflexion » du dirigeant. Projet dont il est parfois indiqué qu'il pourrait être opportunément transmis aux partenaires sociaux de l'entreprise et relayé auprès de l'inspection du travail, voire de la presse...

Ces dérives participent d'une forme d'hystérisation malvenue des relations de travail.

Dans ce contexte, que faire ?

Refuser la menace

Confronté à une menace de plainte, le chef d'entreprise se doit évidemment d'en évaluer la teneur et d'en apprécier le risque ce qui nécessite de savoir se faire entourer notamment par des spécialistes du droit pénal, voire des spécialistes de la communication de crise.

S'il est manifeste qu'il a fraudé, il devra avoir à l'esprit qu'un accord entre les parties au plan civil n'est en rien une garantie contre des poursuites ultérieures. En effet, le droit pénal est à la main du ministère public qui bénéficie d'une parfaite autonomie dans l'engagement des poursuites.

S'il est évident que la menace est abusive, l'employeur rappellera utilement dans les échanges qu'une plainte pénale ne doit pas porter sur une situation dont son auteur sait que les faits dénoncés sont faux (ce qui pourrait être qualifié de dénonciation calomnieuse, délit prévu et réprimé par l'article 226-10 du Code pénal par cinq ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende) ou même s'analyser en une tentative de chantage (délit prévu et réprimé par les articles 312-10 et 312-12 du Code pénal par cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende). Une défense pénale peut donc aussi reposer sur la contre-attaque.

Au plan du droit du travail, il a été récemment jugé fondée la révocation pour faute grave d'un agent de la RATP qui avait abusé de son droit d'agir en justice, en ayant menacé à plusieurs reprises son supérieur hiérarchique de déposer une plainte pénale contre lui s'il persistait à vouloir le recevoir dans le cadre d'un entretien disciplinaire (Cass. soc. 7 décembre 2022, n°21-19280).

Dernièrement a été confirmé le licenciement pour faute d'un salarié exerçant le mandat de représentant syndical, qui avait dénigré sa hiérarchie et ne pouvait donc pas se prévaloir de la protection applicable aux lanceurs d'alerte prévue par l'article L.1232-3-3 du Code du travail, dès lors « que les accusations d'une particulière gravité proférées par [lui]... dans les courriers électroniques litigieux sont formulées en des termes généraux et outranciers, sans que l'intéressé ait été par la suite en mesure de les préciser d'aucune manière. Elles s'inscrivent, en outre, dans le cadre d'une campagne de dénigrement dirigée contre son ancien supérieur hiérarchique direct, se traduisant par la mise en cause répétée de celui-ci pour des pratiques illégales que M. A... n'a jamais étayées par le moindre élément factuel, le requérant n'ayant, par exemple, pas donné suite à la demande de précision de la direction de l'éthique de la SNCF qu'il avait saisie en 2013, en des termes allusifs, d'accusations de fraude. M. A... ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant agi de bonne foi » (CE, 4e - 1re chambres réunies, 8 décembre 2023, n°435266).

De manière générale, il nous semble qu'il soit préférable de refuser catégoriquement toute négociation dans ces conditions. Le risque est en effet grand que des vocations se créent.

Ne pas laisser le soupçon s'installer

Face à des accusations de harcèlement ou de discrimination, il est fréquent que les chefs d'entreprise souhaitent privilégier la discrétion. Si ce souci est évidemment légitime, il ne faut cependant pas que l'entreprise puisse se voir ultérieurement reprocher d'avoir acheté sa tranquillité.

C'est la raison pour laquelle, même si une négociation est envisagée, il est conseillé aux entreprises de faire toute la lumière sur les agissements dont se plaint le salarié pour pouvoir ensuite prendre les mesures utiles. L'enquête interne a de beaux jours devant elle.