La sécurité ne doit pas être financée par la dette

Par Stéphan Bourcieu  |   |  852  mots
Il faut augmenter considérablement les dépenses en faveur de la sécurité. Et il faut que les Français acceptent une réduction de la dépense publique par ailleurs. Par Stéphan Bourcieu, Professeur de stratégie, Directeur général du Groupe ESC Dijon-Bourgogne

A la suite des terribles attentats qui ont touché Paris vendredi 13 novembre, le Président de la République, le Premier Ministre et toute la classe politique s'accordent à dire que la France est désormais en guerre. C'est une guerre totale car elle ne touche pas seulement des militaires sur les théâtres d'opérations, mais prioritairement des civils innocents dans des salles de spectacle, des trains, des restaurants et dans la rue. C'est une guerre totale car les combattants fanatisés n'hésitent pas à se sacrifier pour accomplir leur œuvre de destruction. C'est une guerre totale où tous les coups sont permis.

Dans son histoire, la France a connu de nombreuses situations de guerre. Il y a un siècle, confrontée à l'agression allemande, elle avait décrété la mobilisation générale. En 1914, celle-ci s'était traduite par l'engagement de millions de jeunes hommes, envoyés baïonnette au canon, affronter l'envahisseur aux frontières du nord et de l'est. Elle s'était aussi concrétisée par le recrutement de millions de femmes dans les usines afin de fournir l'indispensable effort de guerre.

Les Français solidaires

Dans la lutte contre Daech, nos gouvernants ont jusqu'à présent fait appel à la solidarité nationale. Celle-ci a montré sa force suite aux attentats de Charlie Hebdo et d'Hyper Kasher : jamais les français n'ont été aussi solidaires ; jamais la France n'a semblé aussi unie et jamais les forces de police n'ont été autant soutenues. Pour autant, la tuerie du 13 novembre montre que les défilés et autres manifestations de solidarité ne suffisent pas à arrêter la folie meurtrière de fanatiques. La décision du Président Hollande de décréter l'Etat d'urgence et de fermer les frontières est un premier pas décisif mais insuffisant.

Il est désormais indispensable que, comme en 1914, le gouvernement appelle à la mobilisation générale. Bien sûr, celle-ci ne passe plus par « la Nation en armes ». Pour faire face à la guerre totale que livre Daech, ce ne sont pas de poilus dont nous avons besoin, mais de professionnels aguerris, de moyens de renseignement toujours plus sophistiqués, de ressources contre la cybercriminalité, de moyens supplémentaires pour enquêter, interpeler, juger et punir. En clair, les missions régaliennes de l'Etat doivent redevenir la priorité absolue.

 Mobiliser des dizaines de milliards d'euros

Et ce ne sont pas quelques milliards ou les quelques milliers de policiers supplémentaires annoncés qui changeront la donne. Les mesures prises après les attentats de janvier ont déjà montré leurs limites : forces de police sur-mobilisées et épuisées, surveillance des individus radicalisés trop lâche ou encore moyens technologiques insuffisants. C'est également une guerre économique que nous livre Daech. Et pour vaincre, l'Etat va devoir mobiliser des ressources financières considérables qui vont se chiffrer en dizaines de milliards d'euros.

Pour ce faire, le Président de la République a affirmé devant le Congrès réuni à Versailles que « le pacte de sécurité l'emporte sur le pacte de stabilité » budgétaire. Le Chef de l'Etat a raison d'assumer le surcroît de dépenses lié à la menace que fait peser Daech. En revanche, la décision d'imputer cette dépense sur le déficit budgétaire est dangereuse. Quelles qu'en soient les raisons, il sera en effet difficile de faire supporter longtemps à l'économie française une dépense publique supérieure au niveau actuel déjà très élevé (57 % du PIB en 2014). De même, avec une dette qui atteint dépasse les 2100 milliards d'euros et frôle désormais les 100% du PIB, il n'est pas envisageable de financer cette guerre totale à crédit. En fragilisant encore un peu plus une économie française déjà chancelante, les décisions actuelles obèrent nos capacités à mener une guerre totale.

Réorienter la dépense publique

Le Chef de l'Etat doit donc appeler à une mobilisation générale cohérente avec la situation stratégique mais aussi économique de la France du 21ème siècle. Celle-ci passe par l'acceptation d'une réorientation forte des dépenses publiques de notre Nation. En contrepartie de la mobilisation de moyens supplémentaires importants, et nécessaires, pour assurer notre sécurité, chaque citoyen français doit assumer la réduction des autres postes de dépenses de l'Etat : un peu moins de fonctionnaires pour les fonctions non régaliennes, un peu moins de transports publics, un peu moins de santé publique non essentielle, un peu moins de protection sociale, un peu moins d'éducation, un peu plus de travail de la part de tous et surtout beaucoup plus de moyens pour la justice, la police et l'armée. En période de guerre, l'Etat doit se concentrer sur ses missions régaliennes essentielles à la survie de la Nation.

Et les français doivent accepter le sacrifice de la sueur pour éviter que ne se reproduise à de multiples reprises celui du sang et des larmes.

Stéphan Bourcieu, Directeur général et Professeur de Stratégie, Groupe ESC Dijon-Bourgogne