Le capitalisme victime de son talent

Par François Leclerc  |   |  756  mots
Le capitalisme, spéculation aidant, est à l'origine de ressources financières hypertrophiées. Où est la sortie de crise? par François Leclerc @fdleclerc

Les bourses mondiales à nouveau durement secouées, le spectre d'un rebondissement de la crise de 2008 est brusquement apparu dans les commentaires des analystes financiers. Sommes-nous à la veille d'un nouvel accès aiguë d'une crise qui n'était qu'assoupie, s'interrogent-ils ? Comme des blessés jetés à terre par le souffle d'une explosion, ils se tâtent pour savoir où ils sont atteints, mais ne trouvent pas. A défaut, ils énumèrent les manifestations d'une crise dont ils ne parviennent pas à déceler les mécanismes les reliant, le monde financier ne fonctionnant plus comme avant. Ils n'ignorent pas qu'une nouvelle crise est inévitable mais ne savent ni quand elle interviendra, ni pourquoi, et se demandent « ne sommes-nous pas en train d'y entrer ? ». Pris par surprise la fois d'avant, ils ne veulent pas prendre cette fois-ci le risque d'à nouveau se déconsidérer.

Tant de dysfonctionnements...

Pour alimenter leur réflexion, les manifestations de dysfonctionnements ne manquent pas. La Chine connaît un atterrissage brutal difficile à négocier aux conséquences mondiales. La guerre larvée des monnaies est relancée. Les pays émergents sont à leur tour plongés dans la crise. La banque centrale américaine est soupçonnée d'avoir sous estimé les effets du modeste relèvement de son taux sur un système financier convalescent, signifiant que celui-ci est désormais assisté. L'importance qui s'accroît du phénomène inédit des taux négatifs sur le marché obligataire européen - dans ce monde à l'envers, les créditeurs payent un intérêt aux créanciers - n'est pas tenable à terme, mais la tendance est irrésistible. Les banques européennes - dont la colossale Deutsche Bank qui inquiète ses créanciers - sont plus fragiles qu'il n'a été admis, et l'Union bancaire n'est pas la bonne réponse à y apporter. Les inconvénients du très bas prix du pétrole, qui semble devoir longtemps se maintenir à cet étiage, l'emportent sur ses avantages.

Quelles corrélations entre ces inquiétudes?

Cette énumération non exhaustive épuisée, les corrélations entre ces phénomènes gardent leur mystère. Pour se rassurer, il est souligné l'absence de détonateur à ce cocktail explosif. L'équivalent des « supprimes » de la crise précédente, ces prêts immobiliers massivement consentis à des créanciers insolvables et disséminés dans le système bancaire international via des produits structurés. Mais la menace représentée par la Deutsche Bank, dont l'énorme bilan de plus de 1.600 milliards d'euros est gavé de ces produits complexes, rappelle pourtant l'épisode de la chute de la banque américaine Lehman Brothers et de son danger systémique. Sait-on la valeur réelle de ces actifs, alors que les banques sont contreparties les unes des autres en raison de l'enchevêtrement de leurs engagements réciproques ?

États sans marges et banques centrales sans munitions

Deux facteurs aggravants se doivent par contre d'être soulignés. Les États ne disposent plus des mêmes marges budgétaires afin de soutenir le système financier et une économie soumise à des tendances déflationnistes et récessives puissantes; les banques centrales sont en passe d'épuiser leurs munitions « non conventionnelles », entrées dans le territoire inconnu des taux négatifs ou s'interrogeant à ce propos.
Selon JP Morgan un quart de la dette mondiale est assortie d'un taux négatif, soit 5.500 milliards de dollars dont 1.700 milliards pour la dette européenne.

Le capitalisme victime de son talent

Pire, les remèdes employés se révèlent être ceux par qui le malheur arrive : les marchés financiers croulent sous des masses de liquidités délivrées par les banques centrales, dont la portée dévastatrice sur l'économie s'est accrue. La dette globale, qu'elle soit publique et privée, ne cesse de croître sans que cela s'accompagne d'une croissance qui permettrait à terme de la rembourser. Ce n'est plus tel ou tel pays affaibli dont la dette est insoutenable, tous les pays sont à un degré ou à un autre atteints pour avoir usé et abusé de la ficelle de l'endettement public et privé afin de suppléer à l'inégalité de la répartition des ressources tout en maintenant la consommation, ce moteur de l'économie.

Nous faisons face à une profonde crise résultant de la mauvaise affectation de ressources financières hypertrophiées et pour partie non socialement nécessaires. Le système capitalisme est victime de son talent, ses activités spéculatives aidant.