Le Covid renforce les inégalités de compétences sociales entre lycéens

Par Camille Terrier, Daniel L. Chen et Matthias Sutter  |   |  478  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. De multiples travaux de recherche indiquent que la crise sanitaire a plus durement touché les personnes d'origine sociale défavorisée en termes d'accès au marché du travail, de santé, et d'éducation. Selon une nouvelle étude publiée dans le Proceedings of the National Academy of Science, nous montrons que le Covid-19 a également eu un impact différent sur les étudiants selon leur origine sociale. En effet, nos résultats montrent qu'une infection au coronavirus au sein de la famille a un effet deux fois plus négatif sur la prosocialité (qui recoupe la coopération, l'altruisme, la confiance en autrui, ou la générosité) des lycéens issus de familles défavorisées. Par Camille Terrier, Professeure à HEC Lausanne, Daniel L. Chen, Professeur à la Toulouse School of Economics, et Matthias Sutter, Professeur au Max Planck Institute Bonn.

Il existe aujourd'hui un consensus scientifique sur les inégalités causées par la pandémie de Covid-19, qui a frappé beaucoup plus durement les individus les plus démunis et les moins diplômés. Si les données relatives aux adultes sont sans appel, les études sur les enfants et les adolescents sont plus limitées. Certaines études indiquent que la pandémie a entraîné une détérioration de la santé mentale, une baisse des résultats et aspirations scolaires, et un taux d'abandon scolaire plus élevé chez les enfants et les adolescents issus de familles aux faibles revenus. Aucune étude n'avait cependant été menée jusqu'ici sur l'effet du Covid sur les comportements sociaux des adolescents tels que la prosocialité.

L'importance de la prosocialité

La prosocialité regroupe l'ensemble des comportements sociaux tels que la propension à coopérer, à faire confiance, à l'altruisme, ou à faire preuve de générosité. Une étude de 2020 publiée dans Nature a souligné l'importance, dans toutes les sociétés, de la prosocialité pour la réussite professionnelle. Cette corrélation va malheureusement de pair avec de fortes inégalités de prosocialité en fonction de l'origine sociale. Plusieurs études montrent que les enfants issus d'origine sociale plus défavorisée sont en moyenne moins prosociaux que ceux de familles plus favorisées.

Ce constat nous a poussés à nous demander si l'épidémie de Covid avait affecté de façon différente les adolescents d'origine sociale favorisée et défavorisée. Pour cela, nous avons interrogé 363 lycéens en France. Nous avons mesuré leur prosocialité, avant et pendant le premier confinement, grâce à un ensemble de jeux. Nous les avons également interrogés sur leur exposition au Covid.

Des conséquences négatives à long terme

Nos résultats confirment que les élèves d'origine sociale défavorisée ont des niveaux de coopération, confiance en autrui, altruisme, et générosité plus faibles que les élèves d'origine sociale plus favorisée. Nos résultats révèlent également que ces élèves ne réagissent pas de la même façon lorsqu'un membre de leur famille est atteint du Covid. Une infection dans la famille a un effet sur la prosocialité deux à trois fois plus négatif pour les lycéens d'origine sociale défavorisée. La crise sanitaire a ainsi là aussi accru les inégalités.

Dans l'ensemble, notre étude suggère qu'une contamination au Covid-19 au sein d'une famille élargit l'écart de prosocialité entre les élèves d'origine sociale favorisée et défavorisée. Compte tenu de l'importance des compétences non cognitives et de la prosocialité pour la réussite scolaire et professionnelle, ces effets négatifs sur les adolescents issus de familles à plus faibles revenus pourraient avoir des conséquences d'autant plus négatives à long terme.