Le hijab de Decathlon, une passion française

Par Cedomir Nestorovic  |   |  645  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. La polémique suscitée en France par la mise sur le marché d'un hijab par l'entreprise Décathlon est riche d'enseignements. Par Cedomir Nestorovic, Professeur ESSEC Business School Asia Pacific.

Le monde entier regarde les péripéties au sujet du hijab de Decathlon et ne comprend pas les passions politiques que cela puisse engendrer en France. Dans les autres pays, notamment asiatiques, où le pragmatisme prime par rapport à l'idéologie, le fait qu'une entreprise privée puisse lancer un produit qui répond à une demande ne pose aucun problème, que ce produit soit le hijab, une robe de moine bouddhiste ou bien un rosaire. Tant que le produit n'est par interdit, c'est le marché qui est seul juge et les consommateurs seront les jurés de ce procès.

Toutefois, la situation française est particulière et ce n'est pas la première fois que l'argumentation politique l'emporte face à l'argumentation économique et commerciale. Lorsque la chaîne Quick a lancé des restaurants certifiés halal en France en 2010 nous avions eu droit au même déchainement de passions mais la chaîne de restaurants a tenu bon. Lorsque Burger King a repris Quick, il a été décidé de conserver plus de 50 restaurants halal sous l'enseigne Quick et c'est la situation encore aujourd'hui.

Deux arguments

Decathlon a avancé deux arguments pour commercialiser son hijab : le fait que la marque distribue déjà le hijab sportif au Maroc, et le fait qu'il y a une demande pour ce produit en France. Prenons le second argument d'abord, l'existence d'un marché. Il est vrai que la mode islamique dans son ensemble progresse vite. Si l'on se réfère au Global Islamic Economy Report publié tous les ans à Dubai, cette mode, tous produits confondus (produits de luxe, fast-fashion, sportifs...), représente un marché global de 270 milliards de dollars US en 2017 et pourrait grimper à 361 milliards de dollars en 2023. Ces chiffres sont impressionnants et il n'est pas de segment de mode qui ne s'intéresse à ce marché.

D'ailleurs les marques de luxe comme Dolce et Gabbana ou bien Saint-Laurent vont coexister avec des marques spécialisées comme Haute Hijab ou Verona pour offrir des hijabs ou des abayas. Le "fast fashion" est également présent avec Zara et H&M, de même que les marques de sport comme Nike. Il est d'ailleurs possible d'acheter des hijabs sportifs en France, soit dans les magasins spécialisés ou bien par correspondance. L'offre de Decathlon n'a donc rien de nouveau, ni d'étrange. Toutefois le marché semble réduit en France car les ventes de hijabs de marque n'ayant pas explosé en France, on peut se demander quelle est véritablement la taille de ce marché potentiel dans l'Hexagone.

Sujet délicat du point de vue politique

Le premier argument est très intéressant car il part du fait que si l'entreprise commerciale un produit dans un pays elle peut le faire dans l'autre. Ceci n'est pas vrai dans tous les cas. Les banques françaises commercialisent des produits islamiques dans certains pays musulmans mais pas en France, Coca-Cola commerciale ses boissons certifiées halal en Asie du Sud-Est mais pas en France, Ferrero commercialise le Nutella halal dans beaucoup pays musulmans mais pas en France. Ce n'est donc pas parce qu'on commerciale un hijab au Maroc que l'on va forcément le commercialiser en France.

D'un autre côté, ce n'est pas parce qu'on ne l'a pas commercialisé jusqu'à présent qu'on s'interdit de le faire dans le futur. Tout est une question de sensibilité et d'appréciation et il se trouve que le sujet est très délicat du point de vue politique et quelle que soit la réponse de Decathlon, qu'elle maintienne le produit ou qu'elle le retire, le mal est fait. La marque est emportée dans un maelström politique dont elle ne sortira pas indemne sauf à considérer que toute publicité est une bonne publicité, et que la notoriété de la marque en sortira grandie.