Le mandat d'Emmanuel Macron est-il bloqué jusqu'en 2022 ?

Par Jean-Michel Arnaud  |   |  791  mots
Jean-Michel Arnaud. (Crédits : DR)
OPINION. L'année écoulée constitue sans doute un moment charnière du quinquennat d'Emmanuel Macron : celui où la promesse d'une « Renaissance » s'est heurtée à la réalité sociale du pays, où la majorité nouvelle a commencé à montrer des signes de fragilité et où les clivages politiques et les pratiques traditionnelles ont peu à peu repris leurs droits. Par Jean-Michel Arnaud, Vice-président de Publicis Consultants et Directeur des publications de l'Abécédaire des institutions.

Le début de l'année 2019 a vu les bouleversements provoqués par l'élection d'Emmanuel Macron atteindre une acmé dramatique. Après  une année et demie de réformes menées tambour battant, s'appuyant sur un bloc central cohérent, modéré et pro-européen, la crise des Gilets Jaunes a porté un brutal coup d'arrêt à la dynamique impulsée par le nouveau Président. Elle n'a pas tant révélé, comme certains ont pu le dire, la fragilité du soutien populaire à Emmanuel Macron que la remontée à la surface d'une crise lancinante qui couvait au cœur du pays. Mais l'arrivée au pouvoir d'une force politique représentant principalement les « gagnants » a probablement accentué la frustration et le sentiment de déclassement des « perdants ».

Forme inédite

Cette crise, en partie le fruit d'une nouvelle donne politique, a elle-même pris une forme inéditeDans la continuité de l'action d'Emmanuel Macron, les Gilets Jaunes ont court-circuité tous les forces qui encadraient jusque-là les mobilisations populaires, partis politiques ou syndicats. Ils ont également instauré un mode de gouvernance horizontal, coordonné avec l'aide des réseaux sociaux, et de nouvelles formes d'actions qui ont posé un défi considérable au maintien de l'ordre. Là encore, le Président a répliqué à cette crise exceptionnelle de manière inattendue en lançant le Grand débat national.
C'est à l'issue de cette crise, et en plusieurs étapes, que s'est effectué le retour de balancier et le retour à une certaine normalité politique. Il ne faut d'abord pas oublier que la réponse au mouvement des Gilets Jaunes est passée par l'octroi de généreuses mesures financières, recette éprouvée lorsqu'il s'agit d'acheter la paix sociale. Emmanuel Macron s'est aussi fortement appuyé sur les élus locaux lors du Grand débat, notamment les maires, eux qui s'estimaient jusqu'ici mal aimés par un Président qui n'est pas issu de leurs rangs.

Alliances très "ancien monde"

A l'approche d'élections municipales qui ne sont historiquement pas favorables au pouvoir en place, et le seront d'autant moins à une nouvelle force politique comme La République En Marche, Emmanuel Macron et son mouvement n'ont eu d'autre choix que de nouer à certains endroits des alliances très « ancien monde », au grand dam des militants locaux.
Ce mouvement s'est encore accéléré à la suite de la mobilisation contre la réforme des retraitesLes corps intermédiaires, et les corporatismes, ont fait leur retour en force : partissyndicats et litanie des professions essayant chacune d'arracher une concession au gouvernement. Le mouvement de contestation signe également le retour d'une confrontation classique mettant aux prises l'ensemble de la gauche politico-syndicale et un gouvernement accusé de porter atteinte au modèle social du pays. Plus que le fond de l'affaire, il est rare après tout qu'une réforme de ce type soit fortement populaire dans l'opinion. C'est le risque de se faire enfermer dans un schéma binaire qu'il a tant cherché à combattre qui représente le plus grand danger pour Emmanuel Macron.
Cela est d'autant plus vrai que le centre de gravité de la majorité continue à dériver vers la droite, mettant en péril l'équilibre originel. Au-delà de l'exercice du pouvoir, qui renvoie immanquablement son titulaire à une image trop gestionnairedivers facteurs expliquent cette évolution : nécessité de faire preuve de fermeté dans le maintien de l'ordre face à la violence de la rue, rôle croissant joué par les transfuges LR au sein du gouvernement, déconvenues sur le dossier de l'écologie. Le pouvoir lui-même semble assumer ce mouvement sur sa droite, comme en témoignent la nouvelle offensive sur le « séparatisme » islamiste et les nombreuses alliances nouées pour les municipales.

L'écologie comme grande priorité

De ce point de vue, le fait d'imposer l'écologie comme une des grandes priorités de la fin du quinquennat répond à une nécessité : celle de ne pas se couper irrémédiablement de l'électorat citadin de centre-gauche, qui avait plébiscité Emmanuel Macron en 2017. C'est néanmoins une stratégie risquée, qui implique pour le gouvernement de s'adresser en même temps à des segments assez distincts de l'opinion et qui l'expose à la critique si les mesures prises ne sont pas jugées à la hauteur. La Convention citoyenne pour le climat en est une bonne illustration. L'équilibre promet d'être très difficile à trouver entre les attentes légitimes des citoyens, la volonté des parlementaires de ne pas être marginalisés et une ligne gouvernementale claire qui ne pourra pas s'accommoder de choix politiques ou budgétaires trop radicaux. La capacité disruptive d'Emmanuel Macron sera mise une fois de plus à rude épreuve.