Le monde d'après n'existera pas, œuvrons pour le nôtre

OPINION. La crise sanitaire a donné lieu à une prolifération dans les médias de textes évoquant "le monde d'après". Mais ils relèvent davantage du fantasme que de la réalité. Par Xavier Pavie, philosophe, professeur à l'ESSEC Business School et chercheur associé à l'Institut de recherches philosophiques à l'Université Paris Nanterre.
Depuis le début de la crise, la plupart des individus ou même des organisations ont une obsession : celle de la continuité du monde autant que possible et son redémarrage à l'identique au plus vite.
Depuis le début de la crise, la plupart des individus ou même des organisations ont une obsession : celle de la continuité du monde autant que possible et son redémarrage à l'identique au plus vite. (Crédits : Reuters)

Depuis quelques semaines, nous voyons surgir dans les médias la volonté de faire émerger un monde nouveau. Celui-ci prendrait forme après la crise sanitaire actuelle. Ce nouveau monde est qualifié de « monde d'après » et nous pouvons nous demander s'il n'y a pas derrière cette expression une forme de fantasme schumpetérien de la destruction créatrice, l'effondrement d'un monde qui en ferait émerger un autre, « tout neuf ». Toutefois, pour qu'il puisse y avoir un monde différent, encore faudrait-il qu'ait lieu l'arrêt du monde précédent, qu'il y ait une véritable destruction du monde actuel. Or s'il ne fait aucun doute que la situation est inédite, il semble plutôt que nous soyons dans une suspension du monde actuel.

Depuis le début de la crise, la plupart des individus ou même des organisations ont une obsession : celle de la continuité du monde autant que possible et son redémarrage à l'identique au plus vite. La Chine par exemple a clairement redémarré ses activités au pas de charge. La consommation est repartie : le magasin Hermès de Guangzhou a par exemple réalisé un chiffre d'affaires de 2,7 millions de dollars pour le seul week-end de sa réouverture.  Les exportations ont elles aussi reprises : pour livrer du matériel à l'ensemble des pays du monde, de l'Europe à l'Amérique du sud, ou même pour l'envoi d'équipes médicales sur place comme en Italie. Les compagnies aériennes, pour citer un autre exemple, mettent tout en œuvre pour redémarrer au plus vite leurs activités, ce qui permettra notamment aux organisations pétrolières de réviser leurs cours à la hausse. Un autre fait plus frappant encore, sont les cours dispensés par les enseignants - quelque soit le niveau. Ceux-ci sont bien entendu différents sur la forme mais strictement identiques sur le fond à ceux de la période avant la crise. Or si nous voulions un « monde nouveau », il faudrait à l'évidence commencer par former différemment.

Les mêmes acteurs qu'avant

On se plaît donc à rêver un « monde d'après », souvent conceptualisé dans les médias tout en convoquant des individus qui ont été justement les acteurs du monde qui serait à jeter. Ce « monde d'après » est simplement fantasmé, comme un conte, car de manière sous-jacente il est toujours proposé comme meilleur qu'avant. En quoi un monde inconnu serait préférable ? et pour qui ? selon quelles perspectives ? occidentale ou asiatique ? à partir de quel genre ? de quelle classe sociale ? Il est entendu qu'une participation de tous à la création d'un nouveau monde ne restera qu'une utopie. Il n'existe pas et il n'a jamais existé une sorte de « matrice » idéale du monde. La nature humaine est faite avec ses qualités, ce qui nous a permis d'évoluer dans la forme complexe qui est la nôtre aujourd'hui mais aussi avec ses défauts.  Viser un « monde d'après » ne serait-ce pas plutôt accepter la nature humaine ?

Accepter le monde d'avant

Ainsi si nous avions à imaginer notre utopie n'est-il pas préférable d'accepter aussi ce fameux « monde d'avant » ? Car nous savons ce que nous devons faire pour un monde meilleur et dès aujourd'hui, non pas pour un « monde d'après » : maîtriser ses passions que sont le pouvoir, la gloire, l'accumulation de richesses ; faire preuve de tempérance dans nos actions et nos désirs ; montrer du respect vis à vis des autres qu'ils soient individus ou animaux - en cessant par exemple de les tuer et de les manger pour un plaisir éphémère -. Ces quelques préceptes, datant des Stoïciens, nous proposent une philosophie comme manière de vivre. Cela demande effort, travail sur soi, réflexion et courage dans ses choix et décisions, c'est ce que l'on appelle des « exercices spirituels ». Autrement dit, si imaginer le « monde d'après » doit avoir lieu il doit commencer par soi, il s'agit de faire preuve comme disaient les grecs d'epimeleia heautou, l'attitude que l'on se doit d'avoir à l'égard de soi, à l'égard des autres, à l'égard du monde.

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Commentaires 10
à écrit le 22/05/2020 à 15:41
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Il n'y aura en effet pas de "monde d'après" différent de celui d'avant. Tout au plus des ajustements, une aliénation plus importante encore avec l'accroissement de la dette et les "sacrifices" qui ne manqueront pas de venir pour la rembourser. Alea ...

à écrit le 22/05/2020 à 9:54
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"On se plaît donc à rêver un « monde d'après », souvent conceptualisé dans les médias tout en convoquant des individus qui ont été justement les acteurs du monde qui serait à jeter." De quoi en effet se frapper la tête contre la table tellement c...

à écrit le 22/05/2020 à 9:47
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Monsieur fait appel au stoïcisme ! Mais est ce bien stoïque, que nos pseudo démocraties libérales aient suivie de façon, si flagrante, l'exemple d'un régime totalitaire. Est ce bien philosophique d'avoir imposé ses vues à ces citoyens sans les consul...

à écrit le 21/05/2020 à 9:00
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Enfin un article réaliste, même si sa conclusion est sujette à caution : dans un système organisé et dirigé par une oligarchie, comment l'individu seul peut avoir une influence, même en changeant de comportement ?

le 21/05/2020 à 12:00
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L’auteur se fiche de ses lecteurs : Car pour trouver de l’apaisement intérieur sans demande de la stabilité minimum à l’extérieur ; une pandémie est anxiogène , ça provoque des traumatismes, sans soigner les traumatismes, les humains ne peuvent pas s...

à écrit le 20/05/2020 à 11:31
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Nous pourrions parler de la "guerre des mondes" que l'on veut nous imposer, ce n'est encore qu'une campagne idéologique pour de prochaine élection! Rien ne change, puisque que l'on nous parle de relance économique, innovation, politique de l'offre et...

le 21/05/2020 à 12:04
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La régression était présente déjà en 2016 avec les chiffres négatifs à l’international, la pandémie a juste fait glisser la pilule ...au niveau de l’économie mondiale .

à écrit le 20/05/2020 à 9:33
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C’est fini « le monde de l’hyper- consommation » d’un côté il y a bien des forces structurelles qui sont entrain de nous pousser à attendre des délais , à consommer via des drives ou des commandes en lignes ... des ruptures sur beaucoup de produits ...

le 20/05/2020 à 22:36
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De tous ceux qui n'ont rein à dire , ceux que je préfère ce sont ceux qui se taisent… Citoyen ordinaire fichez-nous un peu la paix...

le 21/05/2020 à 11:49
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Vous n’êtes pas «  obligés «  de lire ... l’expression est libre ; je comprends que vous puissiez angoisser( ?) , Mais faire l’autruche et plonger la tête dans le sable ( n’apporte rien ) je préfère regarder la réalité en «  face » Ceci n’est pas ...

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