Le monopole syndical est-il conforme à la constitution ?

Par Laurent Guardelli  |   |  929  mots
Par Laurent Guardelli, avocat associé chez Coblence & Associés

Après au moins deux textes majeurs en 2015 (lois dites Rebsamen et Macron), de nombreux rapports et autres comités d'évaluation des rapports, le risque n'est pas nul que les entreprises et les salariés aient quelques difficultés à identifier précisément à quels textes ils sont soumis en matière sociale. Le projet de loi dit El Khomri n'y aide assurément pas, ce d'autant qu'il semble porter en lui les germes d'une division sans précédent de la majorité présidentielle qui n'a plus de majoritaire que le nom.

Les organisations syndicales ne manquent bien entendu pas à l'appel à la révolte, ce d'autant moins qu'elles se sentent, au premier chef, concernées par l'extension prévue de recours au référendum, à l'initiative des organisations ayant réuni moins de 50% des votes des salariés au premier tour des élections professionnelles. Et à cet égard, la charge est sévère, puisqu'il ne s'agirait rien moins qu'un « déni de démocratie », au motif qu'un tel recours aurait pour résultat de remettre en cause le résultat de ces élections.

A force de crier au loup, il va finir par sortir du bois

Si "déni de démocratie" il y a, il est peut-être à rechercher non pas au stade du recours au référendum, mais, bien plus en amont, à celui du monopole syndical au premier tour des élections. Celui accordé en matière de négociation collective participe de la même réflexion puisque les évolutions législatives, ayant conduit à la possibilité de passer des accords avec les instances élues du personnel, sont soumises à l'aval des syndicats de la branche... Car enfin, qu'est-ce qui justifie que ce soient les « organisations syndicales » qui bénéficient d'un tel monopole ?

Certains textes de l'OIT (Organisation International du Travail) semblent établir une préférence syndicale au détriment de toute autre forme de représentation. Cet aspect a d'ailleurs pesé dans les remarquables conclusions du Professeur Césaro dans ses "propositions pour le droit du renouvellement et de l'extinction des conventions et accords collectifs de travail", même si l'on perçoit qu'une piste pourrait être explorée. Il est vrai qu'en la matière rien n'est tranché puisque, par exemple, les recommandations n° 91 et 154 envisagent la négociation collective avec d'autres que les syndicats et renvoient aux législations nationales le soin de le déterminer.

Que nous apprend le droit français à cet égard ?

Il n'y aura pas besoin de chercher bien loin et la seule lecture de la Constitution permet d'apprécier la distorsion qui existe aujourd'hui entre la place accordée aux organisations syndicales par la Loi et celle qui devrait être la leur en vertu du texte constitutionnel. L'article 8 de son préambule prévoit que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. » Dont acte : qui sont donc ces délégués ?

Schématiquement, il existe en droit deux formes de délégation. En droit privé, est délégué celui auquel est confiée la mission de représenter et/ou de remplacer quelqu'un en vue d'exécuter une action. Peu ou prou, il s'agit de la technique classique du mandat. En droit public, la délégation consiste à transférer une compétence. Plus en amont, elle permet à un groupe de déléguer son pouvoir de décision à des représentants via un processus électif.

Ce simple constat suffit à mettre en évidence à quel point le monopole accordé aux organisations syndicales dans certaines matières du droit du travail pose difficulté. En effet, a-t-on souvenir que les salariés aient jamais donné mandat ou voté afin que seules les organisations syndicales puissent se présenter au premier tour des élections ou négocient des accords collectifs ?

En réalité, rien ne justifie que la Loi ait accordé pareil privilège et cela ne semble pas avoir échappé aux rédacteurs du récent rapport dit Badinter qui ont pris soin d'inclure parmi leurs « principes essentiels du droit du travail » un article 46 qui prévoit que « l'exercice de certaines prérogatives peut être réservé par la loi aux syndicats et associations professionnelles reconnus représentatifs »... L'oublier aurait pu ouvrir la porte à quelques esprits chagrins...

La « vocation naturelle » des syndicats

Bien sûr le problème n'est pas nouveau, et ce qui pourrait confiner en définitive au constat de l'inconstitutionnalité du monopole syndical a déjà fait l'objet de nombreux débats que ce texte n'a bien entendu aucune prétention à trancher. Au demeurant, celui auquel il pourrait être demandé de le faire, le Conseil constitutionnel, a paru par le passé plongé dans un certain embarras, se retranchant derrière une « vocation naturelle » des syndicats à « assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs » (décision du 6 novembre 1996). Si certains identifient la source de cette « vocation » quelque part dans la nature, nombreux seront preneurs de l'information.

Inconstitutionnel le monopole syndical ? Rien n'est certain, mais le maintien sous la tutelle syndicale des prérogatives des véritables « délégués » des salariés relève au mieux de la mauvaise foi (« les syndicats défendent mieux les salariés parce qu'ils sont indépendants et connaissent le droit... »), au pire d'une volonté de maintien des privilèges de tous ordres, au détriment des intérêts de ceux prétendument défendus.