Le mythe d'une Catalogne spoliée par Madrid

Par Nicolas Klein  |   |  1298  mots
A Barcelone, on insiste sur le déséquilibre entre les impôts versés par la Catalogne à l'Etat central, et ce que reverse Madrid à la région. Un déséquilibre largement surévalué, en fait. Par Nicolas Klein, doctorant en espagnol à l'université d'Aix-Marseille

Si les causes de l'actuelle poussée séparatiste en Catalogne ne sauraient être réduites à leur volet économique, cet aspect est l'un des arguments les plus utilisés par les indépendantistes. L'un des griefs qu'ils agitent régulièrement est celui du sous-financement de leur communauté autonome par le pouvoir central. En d'autres termes, les balances fiscales de la Catalogne seraient systématiquement déficitaires. Pour le dire plus clairement, après collecte des impôts et taxes, Barcelone verserait toujours plus d'argent à Madrid (1) qu'elle n'en recevrait en retour, ce qui provoquerait un manque à gagner pour le trésor public régional et, par conséquent, une capacité moindre à l'investissement productif.

À en croire la rhétorique séparatiste, malgré des plaintes répétées, le gouvernement central ferait la sourde oreille depuis trop longtemps et défavoriserait la Catalogne au profit de régions comme la Communauté de Madrid . Si les projets indépendantistes aboutissaient, Barcelone n'aurait plus de comptes à rendre à l'Espagne et pourrait gérer ses recettes, ce qui ferait redémarrer son économie. C'est pour démontrer un tel raisonnement que la Généralité publie à intervalles réguliers sa propre analyse des balances fiscales régionales, soulignant l'injuste traitement qui lui est réservé. Les médias français se sont saisis de cet argument sans en analyser la pertinence.

Solidarité et égoïsme


Le système de financement des communautés autonomes espagnoles par le pouvoir central est complexe et gagnerait à être réformé. Il se fonde néanmoins sur un principal cardinal : la solidarité entre les plus favorisés et les plus défavorisés. C'est l'article 2 de la Constitution de 1978 qui le rappelle : « Elle [la Constitution] reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui la [l'Espagne] composent et la solidarité entre elles ». Les régions où le produit intérieur brut par habitant est le plus élevé (Pays basque, Communauté de Madrid, Catalogne, etc.) doivent fournir un effort particulier pour aider les régions en retard (Estrémadure, Andalousie, Castille-La Manche, etc.).
C'est ce principal qui est remis en cause par les séparatistes, lesquels affirment que la Catalogne a trop payé pour les « parents pauvres » de l'Espagne. Il ne peut donc lui être demandé davantage et il est temps qu'elle s'occupe de ses propres besoins. Un tel comportement égoïste peut difficilement fonder un projet national. Par ailleurs, la majeure partie des élus séparatistes au parlement régional est favorable à l'intégration d'une Catalogne indépendante dans l'Union européenne. Ces députés devraient y réfléchir à deux fois : Barcelone acceptera-t-elle de financer les pays d'Europe centrale et orientale, avec lesquels elle n'a aucun lien particulier, alors qu'elle ne veut plus payer pour le reste de l'Espagne, à laquelle elle appartient depuis plusieurs siècles ?

Une définition malaisée

La littérature sur le mode de financement des communautés autonomes est abondante en Espagne. Les médias français n'y accordent pas beaucoup d'attention, se contentant de croire sur parole les séparatistes. La définition des fameuses balances fiscales est pourtant sujette à débats. Les différences de calcul entre Barcelone, qui se plaint d'un sous-financement, et Madrid, qui soutient qu'un tel sous-financement est un fantasme, ne doivent par conséquent pas surprendre.
Dans l'ouvrage collectif El Mito fiscal (2) , l'économiste Ángel de la Fuente ouvre cependant de nouvelles perspectives. Il démontre ainsi, en comparant l'Espagne à toute une série de pays fédéraux (Canada, États-Unis d'Amérique, Australie, etc.), que la Catalogne se situe plutôt dans le groupe des régions riches les mieux traitées par le pouvoir central. Cet effort de comparaison n'est jamais réalisé par Barcelone.

Deux manières de calculer mais une seule méthode fiable

Les autorités séparatistes ont adopté une méthode de calcul qu'aucun économiste sérieux ne reconnaît. L'association Cohabitation civique catalane, dans l'étude Las Trampas de la balanza fiscal de Cataluña (3) , souligne que Barcelone n'en est plus à une manipulation près dans la présentation de son déficit fiscal. La Généralité se sert en effet d'une méthode de calcul dite « du flux monétaire » - par opposition à la méthode « charge-bénéfice », la seule acceptée au niveau international. Sans entrer dans trop de détails, dans le premier cas, le résultat est défavorable à la Catalogne (pour l'année 2009, elle verse jusqu'à 16 milliards d'euros « en trop » à l'État). Pourtant, si l'on s'en tient à la seconde méthode, bien plus fiable, elle reçoit jusqu'à 1,8 milliards d'euros de plus à l'État qu'elle ne lui verse - un régime tout à fait acceptable.

Des statistiques régionales partielles et partiales

Les auteurs de cette étude démontrent également que la Généralité de Catalogne minimise à dessein tous les versements effectués par l'État et exagère toutes les sommes qu'elle lui doit. Les autorités séparatistes passent ainsi sous silence le financement de la santé publique catalane par la Sécurité sociale espagnole.
De la même façon, puisque le siège du ministère des Affaires étrangères ou du celui de la Défense est à Madrid, ces autorités estiment que la Catalogne finance des services qui ne la concernent pas et qui fonctionnent au bénéfice exclusif de la capitale. Cette théorie est ridicule : dans la plupart des pays du monde, les grandes institutions nationales ont leur siège dans la capitale. Cette dernière n'est pourtant pas la seule à bénéficier de la protection de l'armée ou d'un réseau d'ambassades à l'étranger. Ces organismes travaillent en faveur de l'ensemble du territoire. La Catalogne n'échappe pas à la règle.
Bien entendu, cette façon de procéder permet à la Généralité de comptabiliser de nombreux versements au gouvernement central sans prendre en compte ce que ce dernier fait pour elle. Cette méthode de calcul est appliquée à d'autres institutions au service de l'ensemble du territoire espagnol mais basées à Madrid : Institut national de Technique aérospatiale, Institut national de la Consommation, Organisation nationale des Transplantations, etc.

Une incompréhension fondamentale

Au-delà de leurs tricheries et de leur égoïsme, les séparatistes catalans font surtout montre d'une incompréhension fondamentale du mécanisme de l'impôt. Ce ne sont pas les régions qui payent les taxes mais bien les citoyens.
À revenus constants, un ouvrier ou un cadre supérieur devra verser à l'État central la même somme pour son impôt sur le revenu ou l'achat d'un téléviseur, quel que soit l'endroit où il habite en Espagne. Le gouvernement central applique à la Catalogne les mêmes taux et les mêmes taxes qu'à la Communauté de Valence ou à la Galice.
Chaque communauté autonome bénéficie en revanche d'une part de liberté dans la définition de certaines tranches d'impôts. Ces recettes sont gérées exclusivement par la région. Il est avéré, dans ce cadre, que la Catalogne ponctionne beaucoup plus ses administrés que la Communauté de Madrid. Barcelone doit donc réviser sa politique avant de pester contre celle du gouvernement central.

 [1] Cet argument est d'ailleurs démenti par les faits puisque la Communauté de Madrid affiche un déficit fiscal environ quatre fois supérieur à celui de la Catalogne si l'on utilise la même méthode de calcul : https://cincodias.com/cincodias/2014/07/23/economia/1406109298_106654.html

[2] Téléchargeable à cette adresse : https://www.fundacionfaes.org/uploaded/EL+MITO+FISCAL.+RAZONES+PARA+UN+DEBATE%281%29.pdf

[3] Téléchargeable à cette adresse : https://math.temple.edu/~gimenez/NAD/Las%20trampas%20de%20la%20balanza%20fiscal%20de%20Catalu%C3%B1a.pdf