Le paradoxe de la Fonction publique

Par Jean-Michel Arnaud  |   |  825  mots
Jean-Michel Arnaud. (Crédits : DR)
OPINION. La crise sanitaire est venue rappeler pour ceux qui l'avait oublié le rôle central de la fonction publique. Mais confrontée à un fonctionnement complexe qui ne vas pas sans lourdeurs, elle doit être réformée selon trois axes pour remplir au mieux ses missions : l'attractivité, la représentativité et la mobilité professionnelle. Par Jean-Michel Arnaud, Vice-président de Publicis Consultants et Directeur des publications de l'Abécédaire des institutions.

La fonction publique en France est confrontée à un paradoxe têtu : colonne vertébrale d'une société où l'Etat occupe une place centrale, porteuse de valeurs et de principes largement plébiscités, elle souffre dans le même temps d'un manque criant de considération. Au-delà des clichés, aucun Etat comme le nôtre ne peut se passer d'une fonction publique performante et reconnue. La crise sanitaire a mis en lumière le rôle central des agents travaillant en relation directe avec le public dans la bonne marche du pays, qu'ils soient personnels soignants, enseignants ou forces de l'ordre.

Un cinquième de la population active

Le nombre de fonctionnaires a toujours été le point de crispation central. En France, il y en aurait trop. Il est vrai qu'avec 5,5 millions d'agents, soit un cinquième de la population active, l'emploi public pèse relativement « lourd » dans l'Hexagone. Les effectifs n'ont cessé de croître depuis 30 ans et le pays se place dans la moyenne haute de l'OCDE. Mais les comparaisons internationales ont leur limite, tout dépend en effet du périmètre occupé par chaque Etat. La France a fait le choix de lui confier directement de nombreuses missions qui seraient ailleurs assumées par le secteur privé. En outre, certaines de ces missions les plus fondamentales, comme la justice ou la santé, continuent à souffrir d'un sous-emploi chronique. Réduire l'emploi public de façon massive est donc un mirage, à moins de changer totalement de modèle.

Cela étant dit, celui-ci n'est pas exempt de lourdeurs et de dysfonctionnements, qui tiennent en grande partie à la complexité du système administratif français. Derrière l'apparente simplicité d'une organisation en trois branches distinctes - fonction publique d'État, territoriale et hospitalière - se cache une nébuleuse d'employeurs et une multitude de corps et de statuts. Cette complexité et cette rigidité ne permettent pas une gestion fine des effectifs et n'offrent pas une vision d'ensemble des missions de l'Etat et de ses besoins.

Trois axes prioritaires

Plus largement, la fonction publique doit se réformer pour répondre aux profonds changements démographiques et économiques intervenus dans la société française ces dernières décennies. Pour cela, on peut distinguer trois axes prioritaires.

L'attractivité d'abord : la fonction publique peine à attirer les jeunes et les talents. La sélectivité des concours externes de la fonction publique ne cesse de baisser, témoin d'un désaveu qui ne pose pas seulement un problème d'image, mais affecte la qualité des agents recrutés et donc la réalisation des missions de l'Etat. Pour remédier à ce déficit, une série de décisions significatives devra être prise en matière de conditions de travail, de culture managériale et, bien sûr, de rémunération. Si l'écart moyen entre les rémunérations du public et du privé n'est pas forcément en défaveur du premier, il existe encore trop de situations intolérables. Le salaire de début de carrière de certains agents très qualifiés, comme les enseignants, ou celui de ceux dont les conditions de travail sont les plus pénibles, comme les personnels soignants, ne sont clairement pas à la hauteur de l'investissement consenti.

La fonction publique doit aussi améliorer sa représentativité. Elle n'est pas assez à l'image de la société : beaucoup d'enfants de fonctionnaires, pas assez de personnes issues des classes populaires ou de l'immigration dans les catégories les plus élevées, A ou A+. L'ouverture sur la société passera par des efforts en matière de diversité au niveau de la formation et du recrutement.  Les « écoles de service public » et leurs concours, comme l'ENA ou l'ENM, ont un rôle clé à jouer pour attirer de nouveaux profils et permettre leur réussite.

Elle doit enfin assurer une plus grande mobilité professionnelle à ses agents, un prérequis majeur à toute stratégie de montée en compétences. Or, l'organisation actuelle de la fonction publique freine les opportunités, de part notamment le poids des critères d'ancienneté et du classement dans les affectations. Les passerelles entre public et privé, qui favorisent les échanges et le transfert de bonnes pratiques, restent également encore trop peu nombreuses.

Aucun virage significatif

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui prévoit des ajustements principalement techniques, n'a pas amorcé de virage significatif sur ces questions. Sans vision globale de l'Etat et de ses missions, elle est passé à côté d'une réflexion en profondeur sur le rôle, les principes et le sens de l'emploi public. Or, sans un tel effort, il est impossible de conduire une réforme d'ampleur. L'Etat ayant eu ces dernières années une fâcheuse tendance à se défausser sur les acteurs privés pour pallier ses propres difficultés, il faudra sans doute apprendre à faire mieux avec moins.