Le privilège allemand exorbitant

Par Michel Santi  |   |  688  mots
L'immigration massive en Allemagne va tôt ou tard contribuer à remettre en cause le salaire minimum allemand et à peser sur les salaires en Europe. Par Michel Santi, économiste

L'Allemagne a un gros problème démographique, toutfois pas nécessairement celui que l'on croit. Si sa population est en effet stable à un peu plus de 80 millions d'habitants, c'est l'âge de sa masse salariale qui menace de faire dérailler son économie car elle augmente dangereusement le ratio de dépendance, c'est-à-dire la proportion de ceux qui travaillent et qui contribuent à soutenir les sans emplois. Son Office fédéral des statistiques n'avait-il pas calculé (en avril 2015) que le nombre des 20-65 ans diminuerait de 49.2 millions à 48.8 millions en 2020, sur la base d'une immigration qui s'effondrerait de 500.000 annuellement à 100.000 à l'horizon de la fin de la décennie ? Selon ces barèmes de calcul, la masse salariale dans ce pays ne se maintiendrait au niveau actuel des 49.2 millions de travailleurs âgés entre 20 et 65 ans qu'à la condition expresse d'une immigration annuelle d'au moins 200.000 personnes.

L'immigration massive remet en cause le salaire minimum


Dès lors, ce problème semble aujourd'hui réglé grâce à l'afflux massif de réfugiés, à condition toutefois que celui-ci se maintienne dans la durée...Pas vraiment en fait, car cette ruée sur l'Allemagne comme cet afflux irrésistible de main d'œuvre ne fait que déplacer le problème. En l'occurrence, de le reléguer vers le reste de l'Europe qui se voit une fois de plus sommée de gérer tant bien que mal les décisions unilatérales de la maîtresse des lieux européens. D'une manière ou d'une autre, c'est effectivement le salaire minimum (de 8.50 euros par heure) qui sera remis en question par cette arrivée massive de travailleurs syriens et levantins.

Une concurrence loyale déguisée

Si ce salaire minimum ne pourra être réduit dans l'immédiat pour des motifs légaux ou simplement éthiques, l'augmentation du nombre de salariés agira insidieusement en comprimant le revenu réel et, ce, de manière indirecte. Cet afflux d'hommes et de femmes disposés à accepter un emploi au salaire minimum brouillera logiquement l'ensemble du spectre de l'emploi et entraînera à la baisse le niveau d'exigence des travailleurs situés dans cette fourchette de salaires. Au final, ce plancher de verre du salaire minimum finira par céder, ou sera à tout le moins contourné par le travail gris et par d'autres moyens plus ingénieux. A l'évidence, c'est l'ensemble de l'Union qui en souffrira d'autant plus que les pays du Sud pâtissaient sérieusement de salaires allemands systématiquement à la traîne, qui étaient en fait une concurrence déloyale déguisée.

Les salaires européens condamnés à baisser

En conséquence, n'attendons rien de bon de la part des allemands à présent qu'ils ont ouvert les bras à cette masse de réfugiés car c'est à un authentique choc de l'offre de la masse salariale qu'ils vont désormais confronter les autres membres de l'Union. Dans tous les cas de figure, les salaires européens sont condamnés à baisser et la crise européenne à s'aggraver, laquelle crise fut précisément sous tendue par les écarts du coût du travail entre les différents pays européens. L'afflux de réfugiés en Allemagne exacerbera donc les déséquilibres qui ne pourront être compensés que par des dévaluations intérieures supplémentaires (c'est-à-dire encore et toujours de l'austérité) dans les nations du centre et du sud, faute de réajustements monétaires au sein d'une zone partageant la même monnaie.

Bref, la situation du premier exportateur mondial ira en s'améliorant pendant que le reste de ses consœurs européennes peineront à survivre non sans subir des taux de chômage à deux chiffres.

Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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