Le retour des sanctions économiques internationales

Les sanctions économiques entre pays font souvent l'actualité. Elles ne datent pas d'aujourd'hui, loin de là, mais leur nature a évolué, comme le montre un retour sur leur histoire. Par Michel Fouquin, Conseiller scientifique au CEPII, en partenariat avec les JECO
La Russie de Vladimir Poutine fait l'objet de sanctions internationales depuis son annexion de la Crimée en 2014

À l'époque de la montée des populismes dans les démocraties occidentales, du terrorisme proche-oriental, et des relents de nouvelle guerre froide entre la Russie et l'Occident, l'usage des sanctions économiques connait un regain d'actualité et d'attention.

À dire vrai les sanctions économiques pour faire plier ou simplement affaiblir un adversaire ont une très longue histoire; que l'on se souvienne seulement des relations franco-anglaises : de la guerre de Cent Ans à Waterloo, elles ont été presque constamment prohibées et, dès qu'elles ont été levées, elles sont devenues les plus intenses du monde du XIXe siècle.

Le temps de la Pax Americana

À la fin de la Première Guerre mondiale et de la première mondialisation, Woodrow Wilson déclare qu'une nation soumise au boycott ne pourra résister à une telle sanction et qu'ainsi la guerre sera évitée. On connait la suite de l'histoire et de la Société des Nations incapable de stopper la course à la Seconde Guerre mondiale.

En 1944, la création des institutions de Bretton Woods, autour de l'Organisation des Nations Unies, de la Banque Mondiale et du FMI, apporte de nouveaux espoirs de gouvernance pacifique, de développement économique et de stabilité du monde. En particulier elle endosse le rôle de coordination internationale des sanctions économiques et d'intervention militaire (Casques bleus), sous la condition que son Conseil de sécurité lui donne son approbation.

La guerre froide entre l'Occident et la Russie soviétique aboutira à la paralysie de l'ONU, qui conservera cependant un rôle important dans le mouvement de décolonisation. Au cours de cette période, ce sont les États-Unis qui imposent leurs vues et la pax americana (1)  par toutes sortes de moyens : sanctions économiques, déstabilisation des régimes politiques qui lui sont hostiles, interventions armées, etc. L'intervention en Corée sera longtemps la seule menée au nom des Nations Unies (du fait de l'absence de l'URSS à la réunion du Conseil de sécurité décidant cette intervention).

La première puissance économique du monde, soutenue ou non par le Royaume-Uni et -parfois par la France-, a les moyens de sa politique (suspension de l'aide économique, interdiction des investissements des entreprises américaines, blocage des exportations de pétrole et de matières premières qui sont souvent les seules ressources des pays pauvres, etc.), et obtient quelques succès de 1945 à 1970 : succès dans 53% des cas de sanctions multilatérales et dans 69% des cas de sanctions unilatérales. Ce taux de réussite chute drastiquement dans la période de 1971 à 1990, respectivement à 21 et 13%. Surtout on s'aperçoit que les sanctions ont un effet boomerang sur les exportations des États-Unis et le développement de leurs multinationales. Cela leur coute presque aussi cher qu'à leurs ennemis qui trouvent, au temps de la globalisation, de plus en plus de moyens de contourner les embargos.

Le seul grand succès à mettre au crédit des sanctions économiques est sans doute l'amollissement de la politique d'apartheid en Afrique du Sud obtenu après 25 années de luttes intenses, internes et externes (1976-1990).

Le temps des smart sanctions (sanctions ciblées)

 La chute du mur de Berlin est une catastrophe pour beaucoup de pays du bloc soviétique, Corée, Vietnam et Cuba en particulier. Pour les pays de l'Europe centrale, c'est l'occasion de rejoindre l'Europe et de bénéficier d'importants moyens financiers pour leur modernisation. Les Nations Unies retrouvent alors un rôle majeur et sont notamment en pointe dans l'opposition à Saddam Hussein et à la mise en place en 1990 d'un embargo sévère. On s'aperçoit alors que ces sanctions aggravent dramatiquement des conditions de vie de populations innocentes, on chiffre à un million cinq cent mille les victimes civiles de l'embargo sans atteindre les élites du régime. En 1996 un programme « Oil for Food »  est mis en place qui donnera lieu à de multiples affaires de fraude et de corruption, c'est un échec grave pour l'ONU.

Dès lors on va s'intéresser au ciblage des sanctions. On peut les classer par catégorie : contre la prolifération nucléaire (Corée du Nord et Iran), contre les trafics d'armes, contre le trafic de drogue, contre le terrorisme et contre l'évasion fiscale. Objectifs qui sont très souvent entremêlés et les chiffres d'affaires de ces différents secteurs peuvent être colossaux.

Les moyens utilisés vont de la conditionnalité et du ciblage de l'aide internationale, à l'embargo sur les compagnies de transport aérien, au gel des actifs financiers.

La conditionnalité de l'aide c'est par exemple la clause « Everything but Arms » imposée par l'UE, c'est aussi la subvention et le développement de cultures alternatives à celle du pavot, c'est la prise en compte de l'impact écologique de projets d'infrastructure ; il s'agit cette fois plus d'incitations positives que de sanctions à proprement parler. L'embargo sur les transports aériens est censé cibler les élites des pays concernés, mais en fait elle peut être aussi un obstacle au convoyage de l'aide humanitaire.

La voie la plus prometteuse parait être celle du ciblage des flux financiers, de la mise sous séquestre des actifs des dirigeants ou des familles des dirigeants ou de proches a fait la preuve de son efficacité croissante, grâce notamment aux révélations par des lanceurs d'alerte et à la volonté des gouvernements d'obtenir la levée du secret bancaire dans de nombreux pays. Enfin la création d'un tribunal spécial international pour crime de guerre contre l'humanité, qui quoique non économique, ajoutera ces effets dissuasifs.

Le cas des sanctions prises contre la Russie (membre permanent du conseil de sécurité) à la suite de l'invasion de la Crimée et de la guerre en Ukraine est particulièrement intéressant pour étudier l'impact des « smart sanctions ». Dans ce cas aussi on sait pertinemment que le prix à payer est élevé en matière de pertes d'exportations pour les pays proches : pays baltes en premier lieu, mais aussi la Pologne, etc. Les effets de cette politique sont pour l'heure encore indécis.

Ce texte est publié en partenariat avec les JECO, journées de l'Économie, qui se tiennent à Lyon du 8 au 10 novembre

 [1] Kimberly Ann Elliott. 1997. Evidence on the Costs and Benefits of Economic Sanctions, Peterson Institute for International Economics.

 [2] Arne Tostensen et Beate Bull. 2002. Are Smart Sanctions Feasible? World Politics, n°54, pp. 373-403.

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Commentaire 1
à écrit le 09/11/2016 à 11:47
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"bénéficier d'importants moyens financiers pour leur modernisation", tout est dit en une phrase sur la motivation des "nouveaux Européens" :-)

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