Les chiffres tronqués du rapport Oxfam sur les riches

Par Marc Lassort  |   |  1059  mots
Le rapport d'Oxfam sur les inégalités dans le monde est hautement contestable. Voici pourquoi. Par Marc Lassort, chargé d'études à l'IREF

Oxfam vient de publier son rapport annuel sur les inégalités de patrimoine : l'idée principale est que 62 personnes ont un patrimoine plus élevé que le reste de la population mondiale. La part du patrimoine mondial détenue par les 1 % les plus riches serait passée de 44 % en 2009 à 48 % en 2014 et à plus de 50 % en 2015. Oxfam rajoute que le patrimoine des 50 % des plus pauvres se serait réduit de 1 000 Md$ depuis 2010, soit une baisse de 41 % tandis que la population mondiale augmentait de 400 millions de personnes. La conclusion de l'ONG britannique est la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux pour financer la lutte contre la pauvreté et les inégalités de richesse. Les deux critiques majeures que l'on puisse faire à cette étude sont 1) qu'Oxfam réutilise les données du Crédit suisse dont la méthodologie statistique est totalement fallacieuse en matière de définition du patrimoine ; et que 2) les inégalités mondiales de revenus ne font que reculer, chose que le rapport refuse d'admettre.

Les tromperies de la méthodologie d'Oxfam

Tout d'abord, la méthodologie qui consiste à calculer la richesse à l'aide du patrimoine net, c'est-à-dire par la soustraction des dettes aux actifs détenus par les individus, est très contestable. En effet, selon cette définition, un jeune étudiant américain qui s'est endetté pour financer ses études à Harvard, Stanford ou à Princeton est plus pauvre que n'importe quel sans-abri, chômeur d'Afrique subsaharienne ou réfugié syrien ayant perdu la totalité de son patrimoine.

L'autre biais de cette méthode est d'accentuer l'écart de richesse entre d'une part les ménages qui se sont endettés pour un emprunt immobilier ou pour l'achat d'une voiture (un couple de jeunes actifs, par exemple) et d'autre part les ménages propriétaires d'une maison de ville qui viennent de terminer le remboursement de leur crédit (comme un couple de retraités). Cette méthodologie surestime également la richesse d'un petit salarié propriétaire de quelques actifs financiers par rapport au niveau de vie bien plus élevé d'un cadre dirigeant s'étant endetté auprès de sa banque. Il est donc tout naturel, puisque le crédit bancaire est une composante essentielle et fréquente de la vie d'un ménage, que la richesse des 1 % les plus riches soit largement surévaluée.

La pauvreté extrême est en voie de disparition

Oxfam prétend lutter contre la pauvreté avec la publication de tels rapports. Pourtant, lorsqu'on parle de pauvreté, le meilleur indicateur est le taux de pauvreté monétaire, évalué par la Banque mondiale à moins de $ 1,90 par jour. Et ce taux de pauvreté est passé de 44,3 % en 1981 à 29,1 % en 1999 pour atteindre les 12,73 % en 2012, soit une baisse de 72,73 % (presque 3/4 !). Si la courbe continue sa tendance linéaire quasi-parfaite, la pauvreté extrême pourrait avoir été totalement éradiquée avant 2025.

Un autre indicateur intéressant qui témoigne de l'intensité, de l'ampleur et de la diffusion de la pauvreté extrême au sein de la population pauvre est celui de l'écart de pauvreté (poverty gap). L'écart de pauvreté mesure l'écart entre le niveau médian des revenus des personnes en situation de pauvreté extrême et le seuil de pauvreté. L'écart de pauvreté au niveau mondial pour le seuil de pauvreté à $ 1,90 par jour a évolué de 19 % en 1981, à 9,59 % en 1999, et il atteint 3,72 % selon les données les plus récentes de 2012. Cela signifie concrètement que le niveau de vie des populations les plus pauvres du monde n'est plus très éloigné du seuil de pauvreté, et que ce mouvement d'enrichissement n'est pas limité à un cercle limité de personnes : c'est une dynamique générale et mondiale. Tous ces indicateurs nous montrent donc bien que la pauvreté extrême est en voie de disparition.


Les inégalités de revenus reculent dans le monde

Par ailleurs, nous sommes en mesure d'évaluer l'évolution de la distribution des revenus des individus grâce à des données agrégées qui ont été recueillies par l'économiste catalan Xavier Sala-i-Martin. Le coefficient Gini est l'un des indicateurs les plus utilisés pour mesurer les inégalités de revenus, car il permet de mesurer la dispersion d'une distribution statistique entre deux échelles extrêmes : 0 signifie que l'ensemble des individus ont des revenus identiques, 1 signifie qu'une personne se voit attribuer la totalité des revenus mondiaux, et 0,5 signifie que 25 % de la population gagne 75 % des revenus mondiaux tandis que le reste la population se partage les autres 25 %. Et selon cet indicateur, on constate que les inégalités mondiales en termes de revenus sont passées de 0,676 en 1970 à 0,616 en 2006.

Les inégalités augmentent entre les individus d'un même Etat

Des trajectoires similaires peuvent être observées avec d'autres indicateurs statistiques sur les inégalités, comme l'indice Theil et les indices Atkinson, selon Sala-i-Martin . Pendant que dans le même temps, les données de Crédit Suisse constataient la concentration du patrimoine net. En fait, les inégalités de revenus augmentent entre les individus d'un même État, comme en Chine ou en Inde par exemple, mais régressent au niveau mondial lorsqu'on compare les individus et les nations entre eux. Sur le plan mondial, le niveau de vie des habitants les plus pauvres de la planète converge rapidement vers le niveau de vie des pays développés, de même que l'espérance de vie, les conditions sanitaires, la scolarisation et l'accès au confort des technologies modernes.

Pour autant, il existe des inégalités de fait plus préoccupantes pouvant empêcher le recul de la pauvreté dans un certain nombre de pays. Il s'agit des inégalités en termes d'accès à l'état de droit, des inégalités statutaires imposées par certaines réglementations étatiques, des privilèges accordés à des groupes industriels etc. Toutes ces inégalités concourent à réduire le degré d'ouverture et d'inclusivité des institutions et à favoriser ainsi des situations établies. Oxfam devrait plutôt s'intéresser à ce type d'inégalités imposées par les États : bridant l'innovation, l'entrepreneuriat, la concurrence, et donc la croissance économique, elles sont de puissants freins à la réduction de la pauvreté et donc aussi au recul des inégalités.


Marc Lassort, chargé d'études à l'IREF - https://fr.irefeurope.org