Les entrepreneurs Slow Food peuvent-ils sauver les agriculteurs ?

Par Mathieu Joselzon  |   |  806  mots
Il faut rompre avec les schémas agricoles les plus productivistes. Et promouvoir avant tout la qualité, des produits distribués par de circuits courts. par Mathieu Joselzon, Fondateur de Ciao Gusto, distributeur de produits Italiens Slow Food

Depuis ce matin la campagne s'invite à Paris, et pourtant ce n'est pas le salon de l'Agriculture, mais l'antichambre de la décomposition de notre modèle agro-alimentaire.
Les images de tracteurs immobiles, réalisant blocages et barrages filtrants, marquent en effet un coup d'arrêt dans cette course folle et sans limite à laquelle se livrent les différents acteurs de la filière agricole.
C'est une course à la taille, à la taille critique pour mieux peser lors des négociations. Une course sans règles ni morale, ou les intérêts particuliers justifient tous les comportements, les acteurs en bout de chaîne étant trop petits et trop peu organisés pour se défendre.

Des centrales d'achat qui fusionnent, des industriels qui courent après la rentabilité...

Ce sont notamment ces réseaux de magasins de la grande distribution qui créent des centrales d'achat au niveau national, fusionnant même entre elles maintenant (Intermarché & Casino, Auchan & Système U).
Ce sont ces grands industriels en quête de rentabilité, qui une fois tous leurs coûts de structure optimisés poursuivent cette course effrénée à la croissance de la profitabilité attendue par leurs actionnaires. Soit en augmentant leurs volumes achats pour asphyxier un peu plus leurs fournisseurs, soit en dégradant progressivement mais sûrement la qualité de leur produit*.

Les agriculteurs tentent de stopper la course alors que tout le monde est à bout de souffle. Les producteurs triment pour quelques centimes, les industriels ne veulent sacrifier leurs marges au risque que leurs actionnaires prennent le large, et la grande distribution est incapable de repenser son modèle, qui ne profite qu'à eux et aux industriels !

Repenser la chaîne de valeur et la rendre plus équitable

Sans juge ni arbitre, ce sont les règles du marché qui s'appliquent, et il n'y a donc personne pour rappeler que les produits alimentaires ont un prix, et que la réponse à la crise, à la baisse du pouvoir d'achat et au manque de compétitivité de nos produits n'est pas de dégrader l'offre pour améliorer le prix ou de subventionner le secteur, mais bien de repenser la chaîne de valeur et la rendre plus équitable.

Ce rôle d'arbitre, c'est à nous, consommateurs, citoyens, entrepreneurs, de le reprendre, de le conquérir ! Car au royaume de la consommation, c'est bien le consommateur qui est Roi.

 100.000 adhérents dans le monde

Ce changement de système est d'ailleurs déjà en marche, et s'appuie sur deux piliers. Il s'agit d'abord d'une nouvelle philosophie, préalable à la construction d'un nouveau système, basé sur le bon (plaisir du goût et bienfait pour la santé), le propre (respect de l'environnement) et le juste (répartition des profits). Ce mouvement, qui défend l'urgence de ralentir, de revenir à des circuits courts, des consommations de saison, dans le respect du produit, du producteur, et de son terroir, c'est le mouvement Slow Food (plus de 100.000 adhérents dans le monde)
Le second pilier est lui, économique. Pour s'affirmer face à ces mastodontes, cela implique de les affronter sur leur propre terrain, grâce aux nombreux Entrepreneurs qui développent le Slow Food Business, soit l'intégration dans ces nouveaux business model du bon, du propre, et du juste.

L'explosion des circuits courts

Comment interpréter autrement l'explosion des circuits courts, comme la Ruche qui dit Oui, les AMAP, mais aussi tous les commerces de proximités du type épicerie fine, qui répondent aux nouvelles attentes des consommateurs qui veulent consommer moins mais mieux, qui veulent aussi plus de sécurité et de traçabilité suite aux scandales alimentaires à répétition des grands industriels.

Changer le modèle

Dans l'agriculture plus qu'ailleurs, la guerre des prix doit cesser et le modèle doit changer.
On nous a fait croire pendant longtemps qu'on pouvait manger plus pour moins cher, avec le même niveau de qualité. Pour preuve, le poids des achats alimentaires à domicile est passé de 24% à 12% dans le budget des ménages français entre 1960 et 2007** (Insee). La qualité et les produits sains ont un prix, et les consommateurs en prennent progressivement conscience. Quand on sait que le 1/3 de la production globale de denrées alimentaires dédiée à la consommation est gaspillé chaque année, on peut se demander si ces apparentes économies n'ont pas des conséquences bien plus coûteuses pour soi et pour notre Société.

Au tour des Entrepreneurs Slow Food d'entrer en piste, le vent nous est favorable...


Mathieu JOSELZON
Fondateur de Ciao Gusto, distributeur de produits Italiens Slow Food
Membre de l'Association Slow Food
Membre de l'Association Foodwatch

*Les abus nombreux et répétés de la grande distribution sont très bien documentés par l'association Foodwatch https://www.foodwatch.org/fr/accueil/
**La consommation des Français, par Franceagrimer