Les fausses promesses du Bio

Par Pierre Pagesse  |   |  1549  mots
(Crédits : Reuters)
La publicité autour de l'agriculture biologique est permanente. Et les experts de la non expertise, idéologues de la décroissance ou commentateurs anxiogènes, sont plus écoutés que ceux qui s'en tiennent à la science et aux faits. Par Pierre Pagesse, agriculteur, ancien président du GNIS, ancien administrateur du groupe Limagrain, ancien administrateur de l’Inra et fondateur du mouvement Momagri.

Au-delà des scandales des œufs contaminés au fipronil ou des salmonelles dans le lait infantile, nous avons l'alimentation la plus saine et la plus sécurisée de la planète. Bien sûr, le risque zéro n'existe pas, malgré la vigilance de tous, y compris des contrôles officiels.

Il y avait, en 1950, 1.500 décès l'an par intoxication alimentaire contre une dizaine aujourd'hui et souvent chez des personnes ayant des défenses immunitaires affaiblies. A cette époque pourtant, 100 % de la nourriture était entièrement naturelle et bio.  L'efficacité de la chaîne du froid a, depuis cette époque, amélioré grandement la préservation de la qualité sanitaire de nos denrées. Le contrôle des contaminants naturels a aussi fait son œuvre avec l'aide de la chimie, auxiliaire encore indispensable pour la santé des hommes, des animaux et des plantes.

Obligation de moyens et non obligation de résultats

Aujourd'hui, les agriculteurs qui pratiquent une agriculture dite biologique doivent mettre en application un cahier des charges qui est une obligation de moyens, sans molécules de synthèse ni engrais minéraux, et non une obligation de résultats assurant une bonne qualité nutritionnelle ou sanitaire des productions.

Or, sur les maladies des différentes plantes et productions agricoles, les solutions de protection d'origine biologique sont, pour ceux qui les utilisent, très limitées et même parfois dangereuses (cuivre, huile de neem, tourteaux de ricin, roténone malgré les restrictions d'usage). Le spectre des bio agresseurs est très large : bactéries, champignons, virus, insectes, mauvaises herbes dont leurs natures varient selon les espèces cultivées (légumes, céréales, oléagineux, arbres fruitiers...). Ce qui complexifie la tâche de l'agriculteur pour protéger ses récoltes, leur état sanitaire et donc la santé des consommateurs.

Trois familles de produits de santé des plantes

Ces produits de santé des plantes se décomposent en trois familles.

Les insecticides tuent les insectes prédateurs qui piquent, sucent la sève, pondent des œufs et contaminent la récolte. Les agriculteurs bio utilisent, à titre d'exemple, une décoction de fleurs de pyrèthre dont le principe actif synthétisé est utilisé par l'agriculture conventionnelle. Quelle est la différence si ce n'est la précision de la dose d'utilisation (de 2,5 à 8 cl par hectare, selon les espèces d'insectes à détruire) au bénéfice de tous ?

Les fongicides aident à maîtriser la prolifération des champignons pathogènes. Ces champignons altèrent gravement, par les toxines qu'ils sécrètent, non seulement la quantité récoltée mais aussi la qualité sanitaire. Ces toxines, appelées mycotoxines, se déclinent en plusieurs familles et sont, pour certaines, de dangereux poisons (perturbateurs endocriniens puissants et/ou cancérogènes). Elles sont également des facteurs antinutritionnels pour les monogastriques (porc, volailles), et même aussi pour l'homme. Par exemple, le blé, atteint de fusariose dont le nombre de toxines dépasse 1.800 DON, est retiré du circuit conventionnel. Une tâche de pourriture sur une pomme « patuline » est mille fois plus toxique que les traces, si elles existent, de molécules ayant servies à la protection des fruits.

Les fongicides sont également utilisés en traitement de semence, notamment contre une maladie appelée carie. Cette maladie est aussi cancérogène et rend la récolte impropre à la consommation. Elle dissémine les spores dans la production à la moisson mais aussi dans le sol avec le pouvoir de contaminer les récoltes futures.

Les traitements de substitution utilisés dans l'agriculture biologique sont d'une efficacité moindre, comme le démontrent les tests réalisés par le GEVES[1] (entre 4 et 8 épis malades au mètre carré).

Les désherbants ont pour rôle essentiel de protéger la culture de l'envahissement des mauvaises herbes. La prolifération de celles-ci peut aller jusqu'à l'étouffement de la culture et anéantir une production agricole. L'utilisation des désherbants spécifiques a d'autres vertus :

- certaines mauvaises herbes (comme le datura) contiennent des substances toxiques très dangereuses pour la santé (une production de sarrasin bio en Bretagne a fait quatre empoissonnements sévères à partir d'une farine contenant des graines de datura).  L'effet allergisant du pollen de l'ambroisie, dont la prolifération est en train de devenir un problème de santé publique, en est une autre illustration.

- d'autres mauvaises herbes comme les graminées adventices non détruites servent d'hôtes dans le cycle des champignons responsables de la fusariose. Ce qui accentue la problématique de la concentration des toxines citées plus haut. Elles facilitent aussi le cycle d'un autre champignon responsable de l'ergot dont les sclérotes (excroissances sur l'épi en forme d'ergot) sont chargés d'alcaloïdes puissants comme le LSD qui en est l'un des dérivés. Au Moyen-Age, la prolifération de ce champignon rendait fou et pouvait provoquer une sorte de gangrène appelée le « mal des ardents » ou l'ergotisme et qui a fait des ravages. Aujourd'hui, ce champignon n'a pas disparu, bien au contraire, et il  est donc indispensable et urgent d'éliminer tous les facteurs propices à sa recrudescence.

Aucun désherbage mécanique n'est capable aujourd'hui de contrôler, de manière satisfaisante, la prolifération de l'ensemble des adventices dont le réservoir de semences peut dépasser les 100.000 graines au mètre carré. De plus, le passage répété des outils mécaniques tractés est défavorable à la vie biologique des sols et augmentent le ruissellement de l'eau. Des robots spécialisés laissent entrevoir un espoir, au moins sur des surfaces modestes et adaptées, notamment en productions légumières.

On peut également espérer, dans un futur, des appareils de traitement dotés d'une optique spécialisée ciblant la plante à détruire. Les désherbants restent donc indispensables et pour longtemps.

Eviter la mise en culture massive de nouvelles terres

Pour qu'une nourriture soit saine, il faut que le produit agricole brut, sorti de l'exploitation, le soit également. L'agriculture conventionnelle et raisonnée utilise les médicaments des plantes, les fameux pesticides qui ne sont que des remèdes contre la peste qui peut altérer gravement la qualité sanitaire des productions.

L'agriculture conventionnelle est la meilleure alliée de l'environnement. Par son niveau plus élevé de rendement, elle évite globalement la mise en culture massive de nouvelles terres. En 40 ans, la production céréalière mondiale a plus que doublé sur des surfaces identiques, à plus ou moins 710 millions d'hectares. En France, la surface boisée a doublé en un siècle (16,9 milliards d'ha).

Cette agriculture est aussi plus efficace dans sa capacité d'absorption de gaz carbonique dans l'atmosphère ; 2,5 fois plus que l'agriculture bio malgré la prise en compte du différentiel d'émission.

Sur la moyenne des rendements 2013, 2014 et 2015, celui du blé était de 27 quintaux pour l'agriculture biologique contre 71 pour l'agriculture conventionnelle. Ces résultats économiques bénéficient à tous les acteurs de la chaîne alimentaire, y compris aux consommateurs. Ils contribuent également au rééquilibrage de  notre balance des paiements (équivalent à 120  Airbus A320 par an).

Eviter la dépendance à l'approvisionnement extérieur

Avec le « tout bio », la France deviendrait largement déficitaire, notre sécurité alimentaire ne serait plus assurée et nous serions dépendants de l'approvisionnement extérieur dans ce monde aujourd'hui instable.  Il y a également une responsabilité morale pour le paysan qui exerce un véritable métier nourricier. Sur la base des 2.800 à 3.000 calories journalières minimum, il faut l'équivalent calorique de 4 quintaux de blé par an et par personne. Le recul de notre production entraînerait donc plus de misère, de famine, de migration et de décès ici ou ailleurs.

Contrairement aux idées reçues, le centre d'information sur la qualité des aliments ne relève pas de différences nutritionnelles significatives entre les modèles de production. Les variations en teneurs de certains oligo-éléments proviennent, en priorité, de la richesse du sol ou d'une diversité variétale, que la semence soit moderne ou ancestrale.

Eviter des décisions politiques irréversibles

Ces divers constats ne sont pas exhaustifs mais ont pour objet d'éclairer les véritables enjeux et d'éviter des décisions politiques irréversibles qui priveraient notre agriculture des moyens de productions nécessaires à sa performance. Elles priveraient aussi nos consommateurs d'une alimentation saine et nos concitoyens d'une autonomie et d'une indépendance alimentaire rassurante.

Je crois aux progrès et à l'innovation dans des secteurs aussi déterminants que les sciences de la vie ; dans la sélection variétale, dans celle des bactéries auxiliaires ou dans la connaissance du rhizobium des sols. Je crois aussi à l'amélioration de nos techniques culturales grâce aux applications des technologies d'information. Mais le mensonge et la désinformation m'insupportent.

Les promoteurs de la production biologique n'ont pas besoin de pointer du doigt, en permanence, les autres méthodes toutes aussi respectables. Le bio n'est pas irréprochable.

[1] GEVES : Groupe d'Etude et de contrôle des Variétés Et des Semences, organisme officiel d'intérêt public assurant l'expertise des nouvelles variétés végétales, y compris sur le plan environnemental.