Les postulats erronés sur le secteur de l'optique

Par Marc Guyot  |   |  1080  mots
Le gouvernement est dans l'erreur, en voulant réglementer le secteur de l'optique. Sa politique s'appuie sur des postulats contestables. Par Marc Guyot, Professeur à l'ESSEC

Selon une étude, publiée par la revue Ophtalmology, on observerait une forte progression de la myopie en Europe, qui affecterait maintenant près de la moitié des jeunes de 25 à 29 ans. Face à cette situation de croissance des besoins en lunettes de vue, le secteur de l'optique a une perspective positive dans un contexte de stagnation du prix moyen des lunettes et de baisse de la rentabilité des magasins d'optique.

Ces mauvaises performances ne sont pas étonnantes dans un contexte d'intensification de la concurrence à tous les niveaux de la chaîne (verre, monture, montage et distribution) et de pressions venant des mutuelles au travers de leur réseaux de soins. Ce qui en revanche est étonnant c'est le déni absolu de cette situation par les politiques et les associations de consommateurs, ainsi que l'opinion répandue selon laquelle les opticiens vendraient à des prix anormalement élevés en France et réaliseraient des profits élevés.

Une vision erronée du secteur

Le décret d'encadrement des remboursements d'optique par les mutuelles, entré en vigueur en 2015, repose entièrement sur cette vision erronée du secteur. Les opinions largement partagées sont qu'il serait caractérisé par un abus de position dominante en amont de la part du verrier Essilor, que les opticiens réalisent des marges anormalement élevées, qu'ils incitent à la surconsommation et qu'ils exploitent l'irresponsabilité du consommateur final lui-même abusant des largesses de sa complémentaire santé. Comme nous venons de le montrer dans une étude récemment parue (La vérité sur le secteur de l'optique en France, Essec Publishing), ces quatre postulats sont contestables.

- Postulat n°1 : La position dominante d'Essilor est la cause des prix élevés sur le marché du verre
En réalité, la part de marché du Groupe Essilor en France est proche de 62%, et au sein du groupe Essilor, la marque Essilor elle-même ne contrôle que 40% du marché et est en forte rivalité avec les autres marques du groupe comme Novacel. Par ailleurs, le groupe Essilor fait face à la concurrence de multinationales comme les Japonais Hoya et Seiko ou l'Allemand Carl Zeiss et de beaucoup d'autres firmes sur tous les segments du marché. Le secteur est, certes, concentré mais il y a suffisamment d'acteurs pour qu'il y ait une forte rivalité dans tous les segments du marché comme l'illustre le lancement continu de nouveaux produits dans le haut de gamme et l'entrée de firmes chinoises et indiennes dans le bas de gamme.

- Postulat n°2 : Les prix sont élevés car les opticiens sont trop nombreux et réalisent des marges colossales.
En réalité, les résultats nets de l'ensemble des magasins d'optique décroissent sur la période 2006-2012 et ont atteint leur plus bas niveau en 2012 avec 6,4% de bénéfice net pour les opticiens sous enseigne et 5,9% pour les opticiens sans enseigne.
Il existe un raccourci consistant à dire que les prix élevés sont dus au trop grand nombre d'opticiens qui, ne réalisant en moyenne que trois ventes par jour, pratiquent des prix élevés pour être rentables. Pour que des coûts élevés soient répercutés en prix élevés il faut que le marché soit concentré ou qu'il y ait une entente de prix, or il n'y a clairement ni l'un ni l'autre. L'augmentation continue du nombre d'opticiens se traduit par une baisse continue du chiffre d'affaires moyen par magasin. En conséquence, les coûts élevés de certains magasins ont davantage pour effet de laminer leur résultat net que d'augmenter les prix.

Postulat n°3 : Les clients paient un prix élevé à cause de l'asymétrie d'information existant avec l'opticien.
L'asymétrie d'information est la règle sur tous les produits complexes comme l'électronique, l'informatique ou même l'automobile. Sur la base de l'ordonnance de l'ophtalmologue, l'opticien propose plusieurs produits dont les produits de dernière génération et les différents traitements existants pour augmenter le confort des lunettes. Si le client accepte, ce n'est pas une question d'asymétrie d'information mais une question de préférence pour le produit, certes plus cher, mais le meilleur possible.Sinon, cela reviendrait à prétendre que si les Français portent massivement des lunettes progressives et non des lunettes à double foyers, c'est à cause de l'asymétrie d'information dont ne sont pas victimes les heureux habitants des pays anglo-saxons.

- Postulat n°4 : La bonne prise en charge par les complémentaires santé crée une irresponsabilité des consommateurs exploitée par les opticiens.
La majorité des clients comparent les offres entre opticiens et un grand nombre achète hors réseaux de soins et assume un reste à charge élevé, y compris des citoyens modestes et éligibles à la CMU. Le fait est que le bien « lunettes » est un bien pour lequel la grande majorité des Français désire avoir un produit de qualité et est prête à payer un prix élevé. Il est abusif de confondre cet état des préférences des Français avec une manipulation des opticiens et une irresponsabilité des citoyens, sauf à considérer qu'il est irresponsable de vouloir porter une jolie monture et des verres de dernière génération plutôt que consacrer son argent à un autre achat . Au contraire, c'est bien cette préférence des Français qui a conduit les mutuelles à rivaliser sur l'offre de la meilleure couverture optique.

L'optique, 3% de la consommation médicale

Le Gouvernement a un objectif légitime de combattre les déficits qui s'aggravent et qui devraient passer à 14,7 milliards en 2015 dont 10,5 milliards pour la seule branche maladie avec une hausse des dépenses de santé de 3,2 milliards. Cependant le gouvernement se trompe de cible avec l'optique qui d'une part fonctionne plutôt bien et d'autre part ne représente que 3% du total de la consommation médicale (5,74 milliards d'euros en 2013 sur une masse de 190,25 milliards d'euros).

Pour atteindre son objectif, le Gouvernement ferait mieux de multiplier les contrôles pour s'attaquer aux 30 milliards d'euros d'actes inutiles en médecine de ville et hôpitaux, aux 5 milliards de fraude aux prestations sociales ou encore aux 20 milliards de fraude aux cotisations sociales. De même, plutôt que de perturber la dynamique d'un secteur qui fonctionne globalement bien, le gouvernement ferait mieux de jouer son rôle et de lutter contre la fraude que constitue l'optimisation de factures et débarrasser le secteur de ses brebis galeuses afin d'en améliorer réellement le fonctionnement.