Les vraies causes de la crise grecque

Par Edmuns S Phelps  |   |  941  mots
Ce n'est pas l'austérité qui a causé la crise grecque. C'est l'absence de réformes. Par Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie

Certains économistes négligent l'idée moderne selon laquelle la prospérité d'un pays dépend de l'innovation et l'entrepreneuriat. Ils reprennent à leur compte l'opinion mécaniste selon laquelle la prospérité est une question d'emploi et où l'emploi est déterminé par « demande » : les dépenses publiques, la consommation des ménages et la demande en investissements.

Au sujet de la Grèce, ces économistes font valoir qu'un changement de la politique budgétaire vers « l'austérité » (un secteur public réduit), a amené une déficience accrue de la demande et en conséquence une dépression. Mais une thèse de ce genre interprète mal l'histoire et exagère le pouvoir des dépenses publiques.

La baisse de l'emploi avant l'austérité

Une grande part de la baisse de l'emploi en Grèce a eu lieu avant les fortes réductions dans les dépenses entre 2012 et 2014 (sans aucun doute à cause de la perte de confiance envers le gouvernement). Les dépenses trimestrielles du gouvernement grec ont atteint un palier d'environ 13,5 milliards d'euros (14,8 milliards de dollars) entre 2009 et 2012, avant de retomber à environ  9,6 milliards d'euros en 2014-2015. Pourtant le nombre de travailleurs a atteint son sommet de 4,5 millions en 2006-2009 et a chuté à 3,6 millions en 2012. Au moment où la Grèce a commencé à réduire son budget, le taux de chômage de 9,6% de la population active en 2009 avait déjà presque atteint son niveau récent de 25,5%.

Ces résultats pèsent lourdement contre l'hypothèse selon laquelle « l'austérité » aurait mis la Grèce dans sa situation actuelle. Ils indiquent que le tournant de la Grèce depuis les fortes dépenses de 2008-2013 n'est pas imputable au chômage de masse actuel.

 La fin de la débauche budgétaire

 Une autre conclusion jette un doute sur le fait que l'austérité ait effectivement été imposée à la Grèce. La dépense publiques ont certainement chuté, mais seulement dans les secteurs habituels : 9,6 milliards d'euros dépensés au premier trimestre de cette année, voilà en fait une somme plus importante qu'elle ne l'était en 2003. Ainsi le principe de l'austérité semble être erroné. La Grèce ne s'est pas écartée des normes fiscales passées : elle y est revenue. Plutôt que de décrire les dépenses publiques actuelles comme « austères », il serait plus juste de les considérer comme un terme mis à des années de débauche budgétaire qui ont culminé en 2013, quand le déficit budgétaire du gouvernement a atteint 12,3% du PIB et que la dette publique a atteint 175% du PIB.

« L'école de la demande » pourrait répondre que, indépendamment du fait qu'il existe à présent une austérité budgétaire, les dépenses publiques plus importantes (financées bien sûr par la dette) vont donner un coup de pouce permanent à l'emploi. Mais l'expérience récente de la Grèce laisse penser le contraire. L'augmentation énorme des dépenses publiques de 2006 pour la période 2009-2013 a bien créé des emplois, mais ils ne se sont pas maintenus.

La véritable pierre d'achoppement, c'est que le gouvernement devra émettre des obligations pour financer ses dépenses supplémentaires. En supposant une limite à la volonté des investisseurs étrangers d'acheter ces obligations, les Grecs devront les acheter. Dans une économie sous-équipée pour la croissance, les richesses des ménages par rapport aux salaires vont s'envoler et les ressources en main-d' œuvre vont diminuer, causant ainsi une contraction de l'emploi.

Où est le remède?

Donc dépenser plus n'est pas un remède à la situation de la Grèce, tout comme dépenser moins n'en était pas la cause. Quel en est donc le remède ? Aucun montant de restructuration, ni même les remises de dettes, ne suffiront à atteindre la prospérité (sous la forme d'un chômage faible et d'une satisfaction professionnelle élevée). De telles mesures vont seulement aider la Grèce à rétablir ses dépenses publiques. Puis le corporatisme abrutissant de l'économie (le clientélisme et le népotisme dans le secteur public et les groupes d'intérêts et des élites retranchées dans le secteur privé) y gagneront un souffle nouveau. La gauche européenne peut préconiser cela, mais cela ne sera sûrement pas dans l'intérêt de l'Europe.

Le remède doit se trouver dans l'adoption de bonnes réformes structurelles. Que les réformes demandées par les membres de la zone euro augmentent ou non les chances que leurs prêts soient remboursés, ces créanciers ont un intérêt politique et économique à la survie et au développement de l'union monétaire. Ils doivent également être prêts à aider la Grèce à gérer les coûts de mise en œuvre des changements nécessaires.

Des signes encourageants

Mais c'est la Grèce elle-même qui doit prendre en charge ses réformes. Et il y a des signes encourageants que le Premier ministre Alexis Tsipras soit prêt à soutenir cette cause. Mais il aura besoin de percevoir les réformes nécessaires. La Grèce doit démanteler les arrangements corporatistes et les pratiques qui obstruent tout type d'innovation et tout esprit d'entreprise susceptible de se présenter. Créer un vivier d'innovateurs imaginatifs et d'entrepreneurs dynamiques nécessite d'adopter une vision aventureuse de la vie, propice à la créativité et à la découverte.

Edmund S. Phelps, prix Nobel 2006 en sciences économiques, directeur du Centre sur le capitalisme et la société à Columbia University et auteur de Mass Flourishing.

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