Loi El Khomri : une réforme, pas la révolution

Par Bruno Serizay  |   |  754  mots
Le projet de loi El Khomri est beaucoup plus mesuré que ne le suggèrent les critiques entendues. Dénoncée par certains, la libéralisation de la relation de travail n'existe pas dans ce texte. Par Bruno Serizay, associé du cabinet Capstan Avocatsa

Le projet de loi El Khomri suscite autant de louanges que de critiques dont la radicalité (des unes et des autres) est sans doute excessive. La première réaction à sa lecture est son caractère extrêmement mesuré. Si le projet s'inscrit dans le processus continu de réforme du Code du travail initié par la loi de 2008 sur la durée du travail et la représentation syndicale et amplifié par les lois du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi et d'août 2015 (Macron et Rebsamen), il ne prépare pas, ni dans l'immédiat ni à terme, à une révolution du droit applicable aux relations salariées, sauf à constater un souci permanent de privilégier une articulation des textes et une rédaction aussi simples et claires que possible.

Pas de dérégulation de la relation salariée

Il ne préfigure pas la réduction significative du volume du Code du travail souhaitée par certains. Reprenant le rapport Combrexelle, le projet de loi envisage de sélectionner dans chaque partie du Code, parmi les dispositions actuelles ou nouvelles celles d'ordre public, celles ouvertes à la négociation collective (la prévalence étant souvent donnée à la négociation d'entreprise) et celles supplétives (applicables faute d'accord collectif). La méthode retenue exclut toute dérégulation de la relation salariée ; elle propose simplement mais opportunément de donner la préférence à des mesures d'application négociées plutôt que légales.

 Aucune révolution dans la durée du travail

Curieusement, le projet reprend les principes essentiels du rapport Badinter alors d'une part que ces principes n'avaient d'utilité que si, au moins sur certains thèmes, la loi devenait intégralement supplétive de l'accord collectif et d'autre part que certains des principes sont contestables notamment au regard de l'objectif de simplification. Le débat parlementaire pourrait utilement renvoyer la détermination de ces principes, dont l'application est de toute façon reportée en 2019, aux travaux de la Commission de refondation du Code.

Il n'introduit aucune révolution dans la durée du travail qui reste articulée autour des 35 heures hebdomadaires. L'encadrement du travail de nuit et du travail dominical n'est pas davantage modifié. Le projet se limite essentiellement à autoriser les accords collectifs à répartir les temps de travail dans le cadre annuel et désormais dans le cadre pluriannuel. Il autorise les entreprises de moins de 50 salariés à répartir le temps de travail sur 16 semaines (et non plus seulement sur 4 semaines) et à conclure des conventions de forfait-jours, sans accord collectif ; les forfait-jours sont eux-mêmes sécurisés. Le projet n'emporte aucune innovation ; il favorise l'utilisation de mesures déjà existantes.

Les possibilités d'accord collectif restent limitées

Il circonscrit, de façon très regrettable, l'accord collectif en conditionnant son application à sa signature par des organisations syndicales majoritaires, l'application des accords signés « à 30 % » étant soumise à la validation référendaire. Indépendamment de l'éventuelle validation de l'accord collectif non majoritaire, la voie référendaire reste en revanche, et tout aussi malheureusement, limitée aux seules questions de protection sociale et d'épargne salariale. Le projet maintient, de façon contestable au plan constitutionnel, l'impossibilité pour 80 % des salariés de participer à la détermination de leurs conditions de travail. Là encore, le projet, s'il offre un assouplissement des règles existantes, écarte toute évolution de fond de la négociation collective.

De façon positive, le projet propose une efficace simplification des dispositions sur la dénonciation des accords collectifs et fait disparaitre la notion d'« avantage conventionnel acquis » (sauf à garantir la rémunération annuelle), source d'insécurité juridique permanente. Il introduit une définition objective du motif économique de licenciement, ce qui ne peut que préserver les entreprises de l'arbitraire judiciaire et les salariés des abus patronaux.

Une rupture, mais...

Il fixe une grille des indemnités de licenciement établie en fonction de la seule ancienneté (très proche de l'actuelle grille prévue en cas de conciliation) supprimant les différences liées à la taille de l'entreprise. Là encore, la surprise ne peut qu'être feinte.

Comme la loi Rebsamen, le projet de loi El Khomri marque une rupture avec la technique du « toujours plus » au profit d'un possible « autrement » ; mais comme elle, il est plus soucieux de préserver (voire renforcer) les situations actuelles que de donner une réelle chance à l'emploi, par l'effet d'une effective libéralisation de la relation de travail.