Loi Travail : ce qu'il aurait fallu faire

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  727  mots
Myriam El Khomri a défendu une réforme vidée de contenu, estiment Bertrand Martinot et Franck Morel
Pour Bertrand Martinot économiste et Franck Morel, avocat, le CDI devrait être réformé en prévoyant tous les cas de rupture. Ce en s'inspirant de deux innovations qui ont fonctionné, la rupture conventionnelle et la règlementation des PSE, homologués en amont par l'administration

La réforme du code du travail est devenue l'alpha et l'omega de tout discours sur l'emploi en France. Dans quelle mesure peut-elle être créatrice d'emplois ?

 Bertrand Martinot et Franck Morel - Il y a une spécificité française, celle d'une complexité réelle du code du travail, source d'incertitude et donc de frein à l'embauche. Que peut-on en conclure s'agissant des créations d'emplois ? Il y a en tous cas deux choses dont on est sûr. La première, c'est qu'une plus grande flexibilité du marché du travail ne crée pas de l'emploi de façon mécanique. C'est différent d'une baisse du coût du travail qui est, elle, incontestablement et directement créatrice d'activité supplémentaire. Réduire ce coût au niveau du smic, notamment, aurait un effet positif immédiat sur le niveau de l'emploi.

La deuxième chose dont on est sûr, c'est que notre législation aboutit à « dualiser » le marché du travail, avec d'un côté, les jeunes et des seniors cantonnés dans des CDD, de l'autre, des salariés installés dans leurs CDI. C'est en France qu'on a le plus recours aux CDD, et de loin, en dépit d'une règlementation qui vise à en limiter l'usage, via un plafonnement des renouvellements, un surcoût déjà existant. Les jeunes enchaînent donc les CDD, tandis que salariés en CDI restent en poste sans bouger : en France, la durée moyenne d'un CDI atteint 12 ans, bien plus que partout ailleurs. Les employeurs hésitent à embaucher en CDI parce qu'ils savent qu'en cas de licenciement nécessaire, pour telle ou telle raison, le risque est élevé d'atterrir devant le juge : c'est le cas pour un licenciement sur quatre.

Comment explique-t-on cette spécificité française d'une judiciarisation du licenciement ?

Nous cumulons les inconvénients des deux grands systèmes juridiques, ceux du droit romain et ceux de la « common law ». Du droit romain, nous avons les lois très détaillées, pointilleuses... On pourrait donc penser qu'en présence de cette législation abondante, une jurisprudence très développée, comme dans les pays relevant de la « common law » est inutile. Or nos juges font tout, aussi, pour multiplier les jurisprudences qui, parfois, contrecarrent les lois. Ainsi, le forfait jour mis en place par les lois Aubry a-t-il été mis en danger par la jurisprudence, celle-ci conduisant à exiger des garanties supplémentaires non prévues par la loi. Il y a en France comme un billard à trois bandes entre le législateur, l'administration et le juge.

En Allemagne, les juges vont seulement chercher l'erreur manifeste. Leurs collègues français, eux de par leur formation, vont chercher à créer une jurisprudence autonome par rapport à la loi.

Quelle est la première mesure à prendre pour faire bouger les choses ?

Notre idée, c'est qu'il faut prédéterminer les conditions de la rupture du CDI, afin de réduire l'incertitude liée au contrôle du juge. Nous proposons que l'on s'inspire de deux réformes qui ont bien fonctionné. La rupture conventionnelle, d'une part, qui donne lieu à très peu de contestations, et d'autre part la règlementation des Plans de Sauvegarde de l'Emploi (PSE) qui a abouti elle aussi à une réduction des recours devant le juge. Le point commun à ces deux réformes, c'est qu'on a renforcé les garanties de forme, en demandant à un tiers, l'administration, de valider un contrat au regard de ses conditions d'élaboration.

Plus généralement, il faudrait vraiment renverser la hiérarchie des normes en matière sociale, en laissant une beaucoup plus grande marge de manœuvre aux entreprises. De ce point de vue, la loi El Khomri n'apporte presque rien, en dépit de ce qu'avancent ses opposants. Or, quand on laisse les employeurs négocier des accords avec leurs salariés, ils n'hésitent pas : la loi de 2008 permettant de « déroger » à la législation sur le temps de travail a donné lieu à 50.000 accords d'entreprise, ce qui est très satisfaisant si on le rapporte au nombre d'entreprises de plus de 50 salariés (40 000).

Bertrand Martinot et Franck Morel publient "Un autre droit du travail est possible" aux éditions Fayard , en partenariat avec l'Institut Montaigne, 20 euros

La note de Bertrand Martinot et Franck Morel sur le site de l'Institut Montaigne