Le projet de loi travail mérite-t-il un tel déchaînement ?

Par Christine Hillig-Poudevigne  |   |  701  mots
L'article 2 de la loi travail concentre toutes les critiques. Certains lui reprochent notamment de permettre une moindre rémunération des heures supplémentaires. Mais c’est oublier que pour en arriver là, il faudra l’accord des syndicats majoritaires de l’entreprise. Par Christine Hillig-Poudevigne, Avocat - Associée, M B A

Le projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif/ves », surnommé le projet de loi travail ou projet de loi El Khomri, soulève depuis de trop longues semaines un déchaînement pour le moins inhabituel.

Pas un jour en effet sans son lot de manifestations, de blocages, de grèves, de violences, de commentaires acerbes. Le projet de loi travail serait-il si révolutionnaire ou remettrait-il en cause une liberté si fondamentale permettant de justifier une telle situation ?

Le projet de loi sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution est non seulement très long (avec ses 224 pages et ses 54 articles) mais il est également complexe, soulevant des questions souvent très techniques qu'il serait délicat de résumer en quelques phrases choc.

Plus de place pour la négociation collective

Son article 2, cristallisant toutes les tensions, fait à lui seul 58 pages. Pas étonnant qu'il fasse couler autant d'encre ! Plus sérieusement, l'article 2 propose une nouvelle architecture des règles en matière de durée du travail et de congés.

Sans modifier fondamentalement le Code du travail (pour rappel, la durée légale reste bien fixée à 35 heures), l'article 2 donne cependant une place plus importante à la négociation collective d'entreprise en matière de durée du travail et de congés. Ainsi, dans ces domaines, les accords d'entreprise s'appliqueront en priorité et les dispositions de branche n'interviendront qu'à défaut d'accord d'entreprise.

Cette place nouvelle donnée aux accords d'entreprise suscite une vive inquiétude de certains syndicats. Pourtant, le renforcement de la négociation collective d'entreprise est mis en avant depuis de longs mois comme une des clés possibles de la reprise de la croissance et de l'emploi en France. A droite comme à gauche, le constat semblait ainsi largement partagé. L'inquiétude est-elle dès lors justifiée ?

L'exemple qui fâche, les heures supplémentaires

Prenons un exemple (celui qui fâche), le paiement des heures supplémentaires. Selon le projet de loi, l'accord d'entreprise pourra prévoir le taux de majoration des heures supplémentaires sans que ce taux ne puisse être inférieur à 10%. Ce taux pourra ainsi être inférieur à celui prévu au niveau de la branche. A défaut d'accord d'entreprise ou de branche, le taux légal devra s'appliquer (pour rappel, entre 25% et 50%).

Traduction du texte: les accords d'entreprise pourront donc inclure des dispositions moins favorables que celles prévues dans la convention de branche ou dans la loi, au détriment des salariés qui verront leurs heures supplémentaires moins bien rémunérées qu'avant.

N'oublions pas toutefois que le projet de loi précise également que dorénavant, un accord d'entreprise devra être signé par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50% des suffrages lors des dernières élections professionnelles (contre au moins 30% actuellement). Si les organisations syndicales signataires n'atteignent pas le seuil de 50% (tout en représentant néanmoins plus de 30%), elles pourront alors demander la validation de l'accord d'entreprise par référendum.

Le rapport de force reste équilibré

Gageons que si l'accord d'entreprise proposé à la signature des syndicats est si peu favorable aux salariés, il n'emportera pas l'adhésion d'organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50% des suffrages et encore moins l'adhésion des salariés en cas de référendum.

Le rapport de force reste donc équilibré. D'ailleurs, l'exigence de ce seuil de 50% peut faire craindre à l'employeur que la signature d'un accord collectif à l'avenir soit particulièrement difficile à obtenir.

La vive émotion, provoquée notamment par l'article 2, pose en réalité une vraie question de confiance : en effet, à quel titre un syndicat national ou de branche serait-il mieux placé qu'un syndicat d'entreprise pour savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas pour les salariés de l'entreprise ? Sachant qu'en tout état de cause, il ne pourra pas être dérogé aux règles d'ordre public.

Non vraiment, le projet de loi ne justifie pas un tel déchaînement.

Christine Hillig-Poudevigne

Avocat - Associée

M B A

SOCIETE D'AVOCATS