Macron : un projet économique au service des plus riches

Par Adrien Fabre  |   |  2350  mots
La légère hausse du revenu des travailleurs modestes promise par Emmanuel Macron n'est là que pour éclipser les cadeaux aux plus riches. Par Adrien Fabre, École Normale Supérieure & École d'Économie de Paris/Paris School of Economics

 Avec Macron président et ses semblables au parlement : qui perd, qui gagne ?

Ce sont avant tout les générations futures qui y perdent. En effet, Macron promet que sous son mandat, tous les Français gagneraient  en pouvoir d'achat[1]. Quelle est sa recette miracle ? Il prétend que les "réformes structurelles" et la baisse de l'imposition des plus riches vont faire croître la consommation du pays, et que ces gains bénéficieront à tout le monde. Si c'était le cas (j'expliquerai plus bas des raisons d'en douter), cela se ferait au détriment des générations futures (car sa croissance n'est pas verte, elle s'effectue en diminuant notre capital naturel - l'environnement) et de nos partenaires étrangers (car il veut, dans la continuité de Hollande, faire du dumping en augmentant notre compétitivité, pourtant déjà très élevée[2]).

Qui gagne ?

 Les riches ! Ses deux mesures avantageant les plus riches sont l'exemption du patrimoine financier de l'ISF et le prélèvement forfaitaire (aussi appelé flat tax) à 30% sur les revenus du capital mobilier. En tenant compte de la hausse de 1,75% de la CSG qu'il envisage, sa proposition consiste en une taxe uniforme de 31,75 % sur tous les revenus du capital hors immobilier, rompant avec le principe d'équité voulant que le taux d'imposition augmente avec le revenu..

Pour illustrer ces mesures, prenons le cas concret d'un patron du CAC40 ayant un patrimoine de 15 millions d'euros : 5 millions dans l'immobilier et 10 millions en actions. Ledit patron a par ailleurs un revenu de 3 millions d'euros : 500  000 en dividendes (de ses propres actions) et 2,5 millions en tant que PDG, eux-mêmes répartis en 1 million de rémunération (fixe et variable) et 1,5 million en options et actions (imposées comme des plus-values  grâce à... Macron ![3]).

Actuellement, à supposer qu'il n'optimise pas ses impôts (ce qui ne ferait que renforcer l'injustice d'une faible taxation), le patron paie 1,52 million d'euros d'impôts par an, dont 170 000 au titre de l'ISF. Avec le projet de Macron, il n'en paierait plus que 1,08 million, dont 35 000 au titre de l'ISF. Étant donné le niveau de l'ISF, c'est sur le prélèvement forfaitaire à 30% (au lieu de 45%) que repose toute la différence. Nous aurions pu effectuer le même exercice avec un millionnaire gagnant tout son revenu de ses rentes, et la baisse aurait été encore plus marquée. Le prélèvement forfaitaire que promeut Macron accroîtra mécaniquement les inégalités. Rappelons au passage que dans les trente glorieuses, les taux d'imposition maximaux pouvaient s'élever jusqu'à 95% aux États-Unis, et 65% en France[4], et la croissance tant convoitée ne s'en portait pas si mal.

L'idéologie néolibérale

 Macron s'appuie sur un corpus idéologique (au service des) puissant(s), le libéralisme (sautez ce long paragraphe pour vous éviter un topo général sur le sujet). Cette idéologie stipule que l'État doit être le plus restreint possible pour laisser la plus grande liberté aux agents économiques d'opérer leurs échanges dans un marché dérégulé. La pertinence économique d'une telle doctrine est réfutée depuis longtemps. Premièrement, une intervention de l'État est nécessaire pour pallier les défaillances du marché concernant les externalités (les coûts et bénéfices sociaux non pris en compte lors de l'optimisation individualiste).

Or, ces externalités sont massives : éducation, santé, justice, police, infrastructures, recherche, médias, logement, alimentation : tous ces secteurs produisent des externalités positives et seraient sous-financés si l'État n'intervenait pas. Bon nombre de ces externalités sont d'autant plus importantes qu'une large partie de la population est pauvre. Quant à la finance, les industries dangereuses ou polluantes, les activités émettrices de gaz à effet de serre, et (last but not least) le chômage et les inégalités[5]  : ils représentent des risques ou des coûts sociaux s'ils ne sont pas maîtrisés. Deuxièmement, les libéraux considèrent que les secteurs listés ci-dessus, qui rendent un service public, fonctionnent plus efficacement quand ils sont privatisés. Si, par "efficace", on entend "rentable pour les actionnaires", c'est vrai qu'il n'y a pas photo. En revanche, si on s'intéresse à la qualité du service rendu, le dogme libéral ne survit pas à un examen sérieux.

Je ne dis pas que n'importe quel État fait forcément mieux que le secteur privé : tout dépend de la gestion du personnel. En l'occurrence, la pratique managériale induite par le néolibéralisme, qui consiste à pressuriser les équipes pour réduire les coûts et augmenter les rendements financiers de court-terme, est un désastre[6], comme en témoignent les suicides récurrents à Orange. Pour autant, le statut de fonctionnaire a ses défauts. Macron reste vague quand il dit qu'il veut changer le statut de fonctionnaire, mais c'est peut-être un des points potentiellement positifs de son projet : appliquer les résultats de recherche en gestion pour améliorer la qualité du service public (sauf que son objectif, c'est plutôt de réduire les coûts, on y reviendra). Troisièmement, même en l'absence d'externalités, les marchés sont imparfaits à cause de la structure oligopolistique de chaque secteur (due aux rendements d'échelle croissants et à l'accumulation du capital), aux asymétries d'information (qui conduisent à ne pas financer des activités rentables et réciproquement), etc. : en un mot, les marchés ne permettent pas que les ressources soient optimalement allouées.

Une lutte contre le chômage vouée à l'échec

 Ce détour permet de comprendre avec quel tropisme Macron s'attaque au problème du chômage, le "cœur de [son] projet". Celui-ci feint de (ou s'entête à) croire que la libéralisation du marché du travail, à l'œuvre depuis 30 ans, va soudainement se mettre à fonctionner. Il n'a pas réussi à infléchir  la courbe du chômage en tant que secrétaire général adjoint de l'Élysée ou comme ministre de l'économie, mais il compte poursuivre sa méthode. En effet, le CICE, qui consiste en une baisse de cotisations pour tous les salaires inférieurs à 2,5 SMIC, va être pérennisé  tandis qu'une baisse de cotisations supplémentaire jusqu'à 1,6 SMIC va être mise en place afin de supprimer toute cotisation pour les bas salaires. Pourtant, deux équipes d'économistes indépendantes ont montré que le CICE avait créé au mieux 80 000 emplois[7], soit un coût annuel d'au moins 250 000€ par emploi créé.

Autrement dit, l'État aurait pu créer 500 000 emplois s'il avait embauché des gens directement. (À la place, cet argent a contribué à augmenter les dividendes et les salaires et à baisser les prix8.) Quant à la nouvelle baisse du coût du travail au niveau du SMIC, il y a de fortes chances qu'elle n'ait pas l'effet escompté sur l'emploi, étant donné le fort endettement privé (~200% du PIB) et le désengagement de l'État, qui pénalisent la demande. Ne parlons même pas de la libéralisation du marché du travail, dont aucune étude n'a démontré l'efficacité et qui ne fait que précariser les salarié.e.s. Certes, le développement de la formation professionnelle et l'investissement écologique sont des politiques nécessaires. Mais le manque d'ambition de Macron en termes d'investissement ne permettra pas de développer tout le potentiel économique de ce dernier. Ainsi, difficile de croire que le chômage baisserait de 3% alors que les gains d'emplois potentiels dus à l'investissement seraient contrebalancés par des pertes d'emplois dans la fonction publique. Pour information, les deux solutions ayant fait leur preuve au problème du chômage sont : une législation (notamment fiscale) favorisant les 32h voire les 28h de travail hebdomadaire[8], et un emploi garanti par l'État pour les chômeur.e.s longue durée[9] (avant tout dans l'Économie Sociale et Solidaire ou les services à la personne). Hamon propose le premier, Mélenchon le second.

Austérité

 Macron veut réduire la dépense publique de 3 points du PIB, en coupant dans les dépenses de santé (-10 milliards), dans les collectivités territoriales (-10 milliards) et dans les dépenses de fonctionnement de l'État (-25 milliards, soit 7% du budget de l'État hors intérêts de la dette). Quand on connaît la situation des hôpitaux, de la justice ou de la recherche, pour n'en citer que trois, on mesure combien cette politique est néfaste. Rappelons que l'austérité tue : ainsi, au Royaume-Uni, une étude a montré que les coupes budgétaires récentes dans le domaine de la santé ont causé la mort prématurée de 30 000 personnes[10].

Et tout ça pour faire plaisir aux libéraux au pouvoir partout en Europe, parce que le taux de dépenses publiques de la France serait trop élevé. Précisons à ce sujet que les comparaisons entre pays européens ont peu de sens en la matière, puisqu'une part prépondérante est due à la démographie et aux choix en matière de régimes des prestations contributives (retraites et chômage publics ou privés). En outre, il ne faut pas s'inquiéter d'une dépense publique de 60% du PIB, ne serait-ce que parce que, si on comptabilisait la dépense privée de la même manière, on trouverait 265% du PIB[11].

Une fiscalité anti-redistributive

Par ailleurs, Macron transfère du pouvoir d'achat des retraités et des chômeurs (sauf les plus pauvres) vers les salarié.e.s[12]. Il augmentera les impôts sur les (nouveaux) petits épargnants, c'est-à-dire ceux qui ont une assurance-vie (les taux passeront de 23,5% à 30%). De même, son prélèvement libératoire sur les revenus du capital mobilier (qui profite aux plus riches détenteurs de patrimoine) lésera les gens qui touchent des intérêts ou des dividendes en complément d'un revenu d'activité modéré (inférieur à 27 000€/an par part fiscale). Prenons l'exemple d'un couple avec deux enfants à charge, ayant investi 350 000€ dans une société (la leur par exemple), qui gagne en tout 4500€ par mois par leurs revenus d'activités et 1200€ par mois grâce aux dividendes qui leur reviennent.

Ce ménage paie actuellement 4742€ par an d'impôt sur le revenu. Après la réforme de Macron, il en paierait 7298€, soit une augmentation de 54 % (à comparer aux 29 % de baisse dans l'exemple du PDG ci-dessus)[13]. Le même phénomène sera à l'œuvre pour les plus-values : les plus riches seront moins imposés dessus alors que les classes moyennes le seront davantage. Ce chef d'œuvre de néolibéralisme est parachevé par une baisse générale de l'impôt sur les bénéfices des sociétés : il veut mener le taux à 25%, alors qu'il était à 50% jusqu'en 1985, et est aujourd'hui à 33,3%. En agissant ainsi de façon indifférenciée sur les petites et les grandes entreprises, Macron rate une occasion de lutter contre les avantages qu'obtiennent ces dernières en optimisant leurs impôts.

Irresponsabilité écologique

 Or, à cause d'une anticipation prudente de la demande future due à l'austérité, l'investissement privé est faible : c'est ainsi que les entreprises préfèrent verser des dividendes[14] et les détenteurs de capitaux spéculer. Alors que pour la première fois depuis 2008, la France aura un déficit inférieur à 3% du PIB l'an prochain (et donc une certaine marge de manœuvre auprès de l'Union Européenne), Macron s'écrase déjà face à l'Allemagne, en refusant d'investir substantiellement, à un moment où l'État a l'opportunité historique de s'endetter à taux quasi nuls pour financer l'indispensable transition écologique, comme le recommande d'ailleurs un rapport récent de l'OFCE[15]. Pour information, le plan d'investissement écologique de Macron ne représente que 0,5% du PIB, très loin des 3% requis pour la rénovation thermique et la modernisation des réseaux de transport et d'électricité[16].

Quelques bonnes nouvelles

 Enfin, Macron prévoit quelques mesures tout à fait louables qui ménagent les classes moyennes : une hausse du revenu de 7% au niveau du SMIC (+ 65€/mois de prime d'activité qui s'ajoutent aux +20€/mois de suppression de cotisations), une légère baisse d'impôt pour les plus modestes (qui ne compensera pas la dégradation des services publics, cela dit), l'exonération de taxe d'habitation pour les classes moyennes[17] (les plus modestes étant déjà exemptés) et la permission pour les couples d'optimiser leur impôt sur le revenu. Ce sont ces mesures sociales qui rendent sans hésiter le projet de Macron préférable à celui Fillon, qui en est dépourvu.

 Malgré ma critique féroce, je dois reconnaître qu'il y a quelque chose de génial dans le programme de Macron : l'indemnisation chômage pour les gens qui démissionnent. Grâce à ça, on pourrait tous démissionner massivement pour mener une sorte de grève générale payée contre son projet inégalitaire ! Ça ira !

Adrien Fabre

 École Normale Supérieure & École d'Économie de Paris/Paris School of Economics

Page personnelle/Home page: adrien-fabre.com

 Bibliographie :

 [0] https://www.lesechos.fr/elections/emmanuel-macron/0211826576981-emmanuel-macron-mon-projet-economique-2067359.php

 [1] https://www.youtube.com/watch?v=jlGbjnctazQ

 [2] https://www.latribune.fr/opinions/blogs/le-blog-du-contrarian/la-verite-sur-les-remunerations-des-patrons-du-cac-40-en-2015-167-6-millions-euros-565651.html

 [3] https://radioopensource.org/wp-content/uploads/2014/04/Income-tax-rates.png

 [4] Excellent article : https://evonomics.com/wilkinson-pickett-income-inequality-fix-economy/

 [5] https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport_cice2016_28095016_ok.pdf p.29

 [6] https://www.ugict.cgt.fr/images/dossiers/rapport-35h.pdf

 [7] https://neweconomicperspectives.org/2009/08/job-guarantee.html https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/ContributionATDQuart_Monde.pdf Une expérimentation est lancée dans 10 départements, sous l'impulsion d'ATD Quart Monde, et sera évaluée dans 5 ans: https://www.atd-quartmonde.fr/territoires-zero-chomeur-de-longue-duree-cest-parti/

 [8] Lucinda Hiam et al. "Why has mortality in England and Wales been increasing? An iterative demographic analysis", Journal of the Royal Society of Medicine (2017)

 [9] https://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-chez-les-economistes-atterres/20140507.RUE0109/calculee-comme-la-depense-publique-la-depense-privee-depasserait-200-du-pib.html

 [10] https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/111216/remplacer-des-cotisations-salariales-par-la-csg-erreur-ou-projet-cache

 [11] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf-articles/actu/Rapport-FNTP-01-12.pdf p. 31

 [12] https://www.fondation-nicolas-hulot.org/sites/default/files/publications/etude-creation-monetaire-transition-ecologique.pdf