Marché des avions de combat : un monde en voie de recomposition

Par Julien Abidhoussen  |   |  1431  mots
Le segment des avions de combats est annoncé comme l'un des prochains moteurs du marché de l'armement avec une croissance annuelle moyenne de 7,5% d'ici à 2020 pour un marché estimé à 22,5 milliards d'euros en 2017. Par Julien Abidhoussen, consultant.

D'après l'institut spécialisé Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires ont connu en 2016 une deuxième année de croissance consécutive, annonçant ce qui est attendu comme une décennie de fortes dépenses militaires à travers le monde. Ces dernières années, le Moyen-Orient a tiré la croissance du marché de l'armement, mais face à la chute du prix du baril et les contraintes budgétaires qui en résultent, l'Asie est désormais la région du monde attendue pour prendre le relais. Tout d'abord, la Chine poursuit sa course effrénée à l'armement, s'imposant de plus en plus comme la seconde puissance militaire dans le monde derrière les États-Unis.

Ensuite, les pays d'Asie-Pacifique accélèrent leur réarmement, avec en toile de fond les tensions en mer de Chine. Cette zone réputée riche en hydrocarbures et au carrefour de nombreuses routes commerciales est en effet disputée entre plusieurs pays riverains. Plus récemment, les menaces du régime nord-coréen rappellent à la région la précarité de son équilibre géopolitique. Ce regain de tensions sur la planète associé à la mutation des conflits entraine le besoin d'une aviation moderne et flexible. Les rôles des avions de combat sont nombreux : surveillance de zone, mission de renseignement, interception de cibles aériennes, attaque ciblée air-sol/mer ou encore opération depuis des porte-avions. Pour répondre à ces besoins, la tendance consiste à développer des avions multi-rôles, capables d'assurer l'ensemble de ces missions.

Des puissances régionales à l'assaut du marché

Les industriels américains et russes se sont longtemps partagé le marché mondial des avions de combat. Les États-Unis et la Russie ont bénéficié d'avantages décisifs en matière d'armement : des budgets de défense historiquement élevés, de précieux retours d'expérience recueillis lors de nombreuses interventions militaires et enfin des économies d'échelle réalisées à la fois grâce à des marchés domestiques importants et des marchés alliés captifs durant la guerre froide. Depuis la chute de l'URSS, les États-Unis font la course en tête, avec 2 programmes d'avions de combat développés depuis la fin des années 90, le F-22 Raptor et le F-35, respectivement mis en service en 2005 et en 2015. Le F-22, déclaré non exportable par les autorités américaines pour éviter tout transfert de technologie, est souvent décrit comme le plus performant de sa génération notamment grâce à ses capacités furtives. Le F-35 porte donc sur ses épaules le futur des exportations américaines en matière d'avions de combat. La Russie compte rattraper son retard avec le programme PAK FA (Sukhoi T-50), en cours de développement par Sukhoi pour une mise en service prévue en 2021.

Ces dernières années, le cercle des pays constructeurs d'avions de combat a vu de nouveaux acteurs émerger. Considérant qu'être tributaires de puissances étrangères pour accéder à des technologies militaires n'était plus compatible avec leur volonté d'exister sur la scène internationale, de nombreuses puissances régionales ont décidé de développer leurs propres avions de combat. Ces programmes permettent au passage d'utiliser d'importantes sommes d'argent publique pour renforcer des fleurons industriels nationaux tout en développant un tissu économique local. Ainsi, le chinois Chengdu J-20 vient d'intégrer la famille des bimoteurs furtifs lors de sa mise en service en mars dernier, exhibant des technologies dernier cri supposées rivaliser avec le F-22 américain. Même si des problèmes techniques semblent persister, notamment au niveau de la motorisation, l'avion est présenté par les autorités chinoises comme un sérieux concurrent sur lequel il faudra compter. La Corée du Sud, qui peut s'appuyer sur une industrie militaire mature, développe également un avion de combat en coopération avec l'Indonésie, le KF-X prévu pour une mise en service en 2020. L'Inde et le Japon ne sont pas en reste, le premier développe le HAL AMCA par l'intermédiaire de l'industriel national Hindustan Aeronautics, tandis que le pays du soleil levant construit son propre avion furtif après le refus américain de vendre ses F-22. Enfin, d'autres pays aux ambitions régionales importantes, tels que la Turquie et l'Iran, ont eux aussi lancé des programmes du même type bien que moins avancés à ce stade.

La place du Rafale face à la concurrence

Le Rafale a longtemps été considéré comme un échec à l'exportation, essuyant six campagnes de vente infructueuses en près de 15 ans, de la Corée du sud en 2002 au Brésil en 2013. Différents facteurs expliquent ces années de disette. Tout d'abord, le Rafale n'a pu démontrer son efficacité en opération réelle qu'à partir de 2007 en Afghanistan. Ensuite, la coordination entre Dassault et la diplomatie française n'a pas toujours permis de faire face à la concurrence féroce du marché. Ainsi en 2007, le Maroc opte au dernier moment pour des F-16 américains alors que la vente avait été promise à l'administration Chirac. Plus récemment, le Brésil a préféré le Gripen suédois au Rafale, montrant que le multi-rôle français ne convient pas aux besoins opérationnels de tous. En effet, le Gripen bien que moins performant dans l'ensemble, permet d'honorer les seuls besoins de surveillance et de protection d'espace aérien de l'armée brésilienne tout en étant moins cher à l'achat et à l'utilisation.

Mais le Rafale a récemment connu des succès à l'export avec 84 commandes réparties entre l'Egypte, le Qatar et l'Inde, s'appuyant notamment sur ses déploiements réussis dans de nombreux théâtres d'opérations (Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique et en Irak). Bien que non furtif, le Rafale a été pensé comme un vrai chasseur multi-rôle. Pour sa taille modeste, l'avion affiche une autonomie et une capacité d'emport en armement digne des plus gros avions. D'autres négociations plus ou moins avancées semblent exister, la Malaisie a par exemple exprimé son intérêt pour une acquisition de 18 exemplaires de l'avion français. Pourtant face à de nouveaux avions arrivant sur le marché, le chasseur français n'est plus le fleuron technologique qu'il incarnait dans les années 2000. Afin de prolonger son utilisation par les armées françaises et renforcer sa compétitivité à l'internationale, le ministère de la Défense, Jean-Yves Le Drian a annoncé le 20 mars dernier le développement d'une nouvelle version prête à l'horizon 2025, l'occasion de moderniser les systèmes embarqués et la motorisation notamment.

Construire un avion de combat, un défi technologique de taille

Le développement d'avions militaires reste un parcours aux nombreux défis : allier capacité financière, maturité industrielle et expertise militaire n'est pas à la portée de tous. Le programme américain F-35 porté par Lockheed Martin est sans doute l'exemple récent le plus frappant. Les coûts de développement, initialement évalués aux alentours de 230 Mds dollars en 2001 ont fini par atteindre près de 400 Mds dollars en 2016, avec plus de 8 ans de retard sur le planning. Le concept de cet avion consistant à combiner les capacités d'une demi-douzaine d'avions différents en un seul appareil offre des avantages multiples aux forces armées : frais de maintenance et de formation réduits, logistique simplifiée, possibilités opérationnelles décuplées et coûts de développement mutualisés. Cependant, la traduction industrielle d'un tel concept s'est montrée bien plus difficile que prévue. En effet, difficile de réunir la vitesse et la maniabilité d'un avion intercepteur avec les capacités d'attaques lourdes d'un chasseur-bombardier, le tout intégrant les systèmes avioniques les plus complexes vus sur un avion.

Même s'il est difficile aujourd'hui de trouver un équivalent à la puissance industrielle américaine, le panorama des constructeurs d'avions de combat est en voie de recomposition. Force est de constater l'émergence de nouveaux acteurs avec lesquels il faudra compter à moyen ou long terme. L'industrie des avions de combat n'est pas encore multipolaire, mais le marché est certainement en cours de transformation, reflétant au passage l'évolution des relations internationales sur la planète. Bien que bénéficiant pour l'instant d'avantages industriels, les positions américaines et européennes seront de plus en plus concurrencées par des pays émergents, qui, après des années passées à acheter des technologies à des puissances étrangères, ont décidé de construire leurs propres systèmes.