Michel Platini peut perdre la bataille de la FIFA

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  944  mots
Sepp Blatter a démissionné de la présidence de la FIFA, et Michel Platini pourrait lui succéder. Mais c'est loin d'être gagné.... Par Jean Christophe Gallien, Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne

Sport Monde sans équivalent, le Football vit à son sommet, une période très troublée de fin de règne. Attaqué par le fisc et la justice pénale des USA, à peine réélu à la tête de la FIFA, l'inoxydable Sepp Blatter a annoncé qu'il quittait la présidence de l'institution. Candidat souvent proclamé, favori des européens, joueur de légende puis dirigeant superstar, Michel Platini peut-il réellement espérer succéder au suisse à la tête de la FIFA en fin d'année ? Cela semble, pour l'instant, très compliqué !

 La sortie arrangée de Sepp Blatter

La dernière victoire de Sepp Blatter était une victoire contre l'Europe, contre les USA, contre le FBI, contre Michel Platini aussi. Une victoire avec l'Afrique, la Russie, l'Asie, le Golfe, une partie de l'Amérique du Sud, ... leurs confédérations et, au delà, leurs puissances étatiques et gouvernements. Une victoire avec les émergents. La géopolitique était à l'œuvre au cœur du Football.
La sortie de Sepp Blatter ressemble à un arrangement avec ceux là même qu'il a battu sur son terrain à lui, la planète FIFA, et notamment la puissante justice américaine et les européens. Vous me laissez sortir à ma main. Je ne minerai pas le parcours de mes successeurs. Il est pourtant certain que Sepp Blatter, même relégué en Président intérimaire, pèsera de tout son poids sur la future élection et le renouvellement de l'organisation. On peut imaginer, sans trop se tromper, qu'il ne fera pas campagne pour l'européen, son ex fils préféré : Michel Platini.

 La FIFA, un objet hybride et complexe

Même dans l'après Blatter la FIFA demeurera un objet hybride et complexe. Un objet mutant de la mondialisation économique et de la multipolarité géopolitique. Sepp Blatter avait su l'adapter et profiter de cette nouvelle donne. Aux côtés de João Havelange, il avait appris à regarder au-delà des frontières de l'Europe et compris l'immense poids géopolitique du Football. En 1998, quand il est devenu seul patron de la FIFA, le Suisse en fit à la fois une ONG sportive aux interventions humanitaires multipliées, une multinationale extraordinaire machine à cash et une organisation para diplomatique de 209 pays - soit 16 de plus que l'ONU -, égale du CIO, placée au cœur des enjeux géopolitiques et géoéconomiques d'un Monde nouveau.

Les émergents disent: "c'est notre tour"

Une organisation aussi sous l'influence grandissante et revancharde de puissantes confédérations regroupant des territoires émergents qui sous Blatter ont été largement bénéficiaires de l'aide au développement de la Fifa.
La géopolitique du Football est proche de celle du réel. Europe et USA font face aux émergences des BRICS et autres puissances qui disent : « c'est notre tour » et revendiquent un équilibre nouveau. Russie, Asie, Afrique notamment ne laisseront plus la puissante Europe du Foot, l'UEFA, gouverner seule le destin du Football mondial.
Le rapport des forces au sein du congrès de la FIFA, où l'Europe ne pèse que 53 voix sur 209, n'est pas favorable au candidat de l'Europe. Michel Platini le sait, la planète FIFA n'acceptera pas si facilement de se voir dirigée par un représentant de la richissime et toute puissante instance européenne. Michel Platini peut-il être, à la fois l'homme de l'Europe et des émergents ? On peut raisonnablement en douter.

Platini n'a pas résolu les conflits autour du foot européen...

La FIFA est malade, mais qu'en est-il de l'UEFA ? Est-elle totalement pacifiée ? La méthode Platini n'est-elle synonyme que de succès ? Le récent plébiscite par acclamation à main levée de Michel Platini pourrait le laisser croire. Pourtant la réalité, c'est que le champ de bataille footballistique mondial n'épargne en rien l'UEFA. Ici aussi les conflits sont partout ou presque et finalement très peu résolus par Michel Platini et son équipe. La liste est longue ! Bataille autour des droits de la Champions League, fairplay financier, rapport avec la surpuissante Premier League anglaise, déséquilibre structurel entre clubs, joueurs sacrifiés à la multipropriété, ...
Michel Platini est en difficulté face à des défis qui dépassent la seule UEFA et sa géographie privilégiée. Pourquoi pourrait-il réussir au niveau mondial là où pour l'instant, il a en partie échoué au niveau européen.

...mais il connaît la FIFA en profondeur

Au final, et c'est ce qui peut le sauver, Michel Platini était, jusqu'à très récemment, un homme du système Blatter. Il connaît la FIFA en profondeur, ses hommes et ses usages comme peu. Au passage, on peut s'interroger sur ceux qui, au cœur du Football, au cœur ou autour même de la FIFA, déclarent aujourd'hui qu'ils ne savaient pas.

Ceux-là même qui comme Michel Platini ou les grands sponsors de l'organisation type Coca-Cola, Adidas, Visa, McDonald's ... avaient accompagnés Sepp Blatter dans l'affirmation de sa puissance. C'est là, au cœur d'une FIFA qui doute, que son expertise du système Blatter, associée à sa légendaire science du jeu, pourra permettre à Michel Platini de contrer la vengeance attendue du suisse, de faire oublier quelques faiblesses de sa présidence de l'UEFA et de réguler à son profit les multiples appétits géopolitiques des émergents, pour peut-être succéder à Sepp Blatter à la tête du Football mondial. Possible mais pas fait, loin de là !

*Directeur associé de ZENON7 Public Affairs et Président de j c g a

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals