Mieux vaut prévenir (par la tech) que guérir (sans elle)

Par Julien Foussard  |   |  860  mots
(Crédits : DR)
OPINION. Dans le malheur qu'elle provoque, la pandémie mondiale du COVID-19 offre l'occasion unique de pouvoir comparer les systèmes de santé Etats par Etats, confrontés à un mal commun. Mille ingrédients les distinguent : leur coût, leurs équipements, l'acceptation des mesures individuelles de protection des autres et des plus vulnérables... mais jamais la tech n'a été d'un tel secours aux Etats qui en ont fait le bras armé de leur politique de santé. Par Julien Foussard, entrepreneur et investisseur de la tech

Nous connaissons les premiers résultats de ses politiques techno-sanitaires : la Corée du Sud et le Japon, près de 180 millions d'habitants à eux deux - particulièrement vieillissants dans le deuxième cas - sont les seuls grands Etats qui connaissent une progression limitée des décès liés au COVID-19, avec un doublement tous les 8 jours environ contre un doublement tous les 2,5 jours en France ou tous les 2 jours en Espagne (source : FT, Johns Hopkins University).

Comment en est-on arrivés là ? Est-ce une question d'argent ? Loin de là, car sur le papier, la France paraît mieux armée que beaucoup d'Etats industrialisés : les Français reçoivent 200 milliards d'euros de prestations d'assurance maladie par an (plus de 11% de notre richesse nationale), au prix d'un niveau de prélèvements obligatoires inédit et qui constitue un record mondial (46,1%, OCDE 2019). Et pourtant, à l'écran, les failles françaises sont béantes, comme si la numérisation de la production de services avait musclé la productivité du secteur commercial et industriel et réduit les coûts, mais qu'elle avait soigneusement évité la sphère publique. Durant la dernière décennie, les coûts de gestion du système de santé ont progressé de 12% par habitant (DREES, 2019) alors que la productivité du travail a crû de 6,6% sur la même période (OCDE, 2019).

Est-ce une question d'adaptation des systèmes publics aux nouvelles technologies ? Cela paraît plus évident. En agrégeant la data en masse pour la traiter et en suivant les individus pour protéger le groupe, certains Etats ont fait le pari de mettre la tech au service des structures physiques de santé, bien moins éprouvées par la crise sanitaire en cours.

D'autres pays sont ainsi mieux préparés. Frappés par l'épidémie de SRAS en 2003, les pays extrême-orientaux ont progressivement arrimé la tech à leurs politiques sanitaires pour passer des pratiques de containment aveugles et massives au suivi individu par individu de la contamination.

Il n'y a pas de miracle. Des applications lancées à Singapour (TraceTogether), en Corée du Sud (Corona 100 m) ou en Israël (Track Virus) permettent de coupler le suivi sanitaire individuel et de protéger toute la population connectée. Ces applications facilitent le respect des règles de protection par la population et aident les Etats à collecter, traiter et diffuser l'information utile. Bref, elles sauvent des vies humaines en grand nombre comme l'illustre la courbe des décès liés au COVID-19 dans ces Etats.

Et en France ?

Le débat a démarré et les postures ne tardent pas à s'imposer. Quel étonnant paradoxe pourtant. Les consommateurs réclament de pouvoir géolocaliser et suivre le livreur de leur repas ou de leur colis. Ils apprécient les recommandations de Netflix ou d'Amazon si ces dernières sont pertinentes. Ils plébiscitent la commande vocale, notamment les plus jeunes. La publicité doit toucher son public le plus précisément possible sous peine d'être reléguée.

En somme, tous les secteurs en saisissent l'intérêt mais on serait réticent à faire porter un carnet de santé numérique et antiépidémique à tous les Français. A entendre certains, il vaut mieux contraindre 67 millions de Français à une privation inédite et durable de leurs libertés les plus élémentaires en les confinant que de les doter d'un outil de suivi individuel de leurs symptômes, de leurs mouvements... pour leur éviter d'être confinés comme en Corée du Sud. Retracer la propagation épidémique est déjà possible en interrogeant, rétrospectivement, les lieux où les téléphones des COVID positifs ont borné.

Les entrepreneurs français de la tech regorgent d'innovations, de savoir-faire et d'équipes formées. Nous pouvons mener l'effort de guerre auquel le Gouvernement les appelle. Mais un programme européen, visant à proposer aux 500 millions d'habitants de notre continent un outil de suivi et d'endiguement des futures pandémies prend aujourd'hui tout son sens.

Au Royaume-Uni, tous les critères habituels de sélection ont été remisés (expérience, références, effectifs, chiffre d'affaires, etc.) pour faciliter l'entrée de jeunes entreprises technologiques et innovantes dans les appels d'offres sanitaires. Est-on prêt, en France et en Europe, à favoriser ainsi la culture technologique au sein de l'Etat et à y investir très largement y compris en recrutant des talents formés et onéreux ?

Prévenir plutôt que guérir par la tech est un investissement qui se révèle en vérité moins onéreux.

Les entrepreneurs de la tech sont prêts à relever le défi. Nous en appelons à un usage concerté, intelligent et citoyen des milliards de datas disponibles et l'adaptation du secteur public à la technologie de service. Cette crise mondiale va permettre à quantité de Gouvernements d'étendre leurs pouvoirs de contrôle sur nos vies... qu'elle permette d'abord, et surtout, d'entamer une rupture utile en mettant les technologies au service de notre système sanitaire, pour en augmenter significativement les performances vitales et d'en réduire le coût.